Rue du Soleil


Quais, rues grasses, le soleil mille fois multiplié, ballotté, éclaté entre les coques, sur les eaux noirâtres du Vieux Port. Trafic, trottoir encombré, fracas, l'abri bus offre un bref asile contre l'assaut du mistral. Voilà justement un bus, vitres bleutées, fraîcheur climatisée, vitesse commerciale voisine de l'allure piétonnière. Plage des Catalans, le sable dans les yeux, ressortir des vagues froides, la peau tendue comme celle d'un tambour. Ensuite la Corniche, au-dessus de la mer couleur bleuet, elle se brise juste là, sous vos pieds, sur des roches brunes aiguisées comme des rasoirs, qui en font des gerbes blanches, moussues. Accrochées à la roche, des maisons s'étagent dans la lumière d'or, modestes, tapageuses, jalouses, certaines fermées, quelle tristesse, ce paysage devant soi et des volets clos, ingrats propriétaires! Peut-être que le mistral rend fou, à la longue, on n'en peut plus, alors on s'en va? Le banc de béton serpente interminablement, la route passe au-dessus d'un hôtel chic dont les drapeaux claquent, puis on descend vers le Roucas Blanc, qu'annonce un îlot de maisons provinciales, anachroniques. Plages industrielles du Prado, larges boulevards, constructions sans caractère, on pourrait aussi bien être sur la côte bretonne, en Vendée, dans une station moyenne. Un verre sur une terrasse en plein soleil, à peine abritée du vent. Repartir à pied, face au couchant qui embrase la baie, arpenter la corniche – attention aux cannes, que les pêcheurs posent à même le trottoir. Répondre à l'invite du Vallon de l'Oriol, où une petite rue chantonne: Montez par ici, venez vous perdre... Quelques virages, petites maisons de village provençal, à gauche un escalier roide appelé Rue des écoles, il monte vers l'azur entre deux murs chatouillés de végétation. En haut, d'autres ruelles, en voici une, Rue du Soleil, elle tourne, tourne encore, vous ramène à votre point de départ. Où est la mer? Là-bas derrière. Trois énormes coups de cornes emplissent l'espace, l'air vibre: un paquebot invisible, grand comme cent immeubles, quitte le port en saluant Marseille. Dans une trouée, le ciel rose saturé de vapeur; le vent laisse un bref répit pour capter, à cet instant, la douceur infinie du soir. Mais il faut poursuivre, prendre d'autres ruelles qui s'appellent ici boulevards. Une perspective biscornue, montueuse, deux façades de volets clos, rue déserte; à peine, derrière les persiennes, quelques bruits de télévision, chocs de fourchettes sur des assiettes, la pétarade d'un scooter, c'est le livreur de pizzas, tout le charme d'Endoume rien que pour soi, avant qu'un bus en route pour le dépôt nous ramène à la ville basse, nocturne, éclairée, criarde, cosmopolite, presque absurde. Un autre monde.

Articles les plus consultés