Puissance installée

Premier janvier, soir: nonante minutes à piétiner le trottoir de la rue Blaes. Encore heureux qu'il ne pleuve pas... et qu'on ne comprenne pas un mot du propos de notre entourage, essentiellement néerlandophone. Subir les conversations du voisinage, dans ce genre de circonstance, peut tourner à la torture... On entre à minuit. La sono sert de la house vocale à la grosse louche. Igor nous repère tout de suite. On prend un verre au bar. La piste et la sono sont complètement saturées, les plombs sautent plusieurs fois: oui, on est bien à la Démence! (Peut-être ce déficit dans la puissance installée a-t-il conduit ses propriétaires à baptiser ce club Fuse, en fait...) Comme prévu, il devient difficile de danser entre minuit et deux heures du matin. Se mouvoir relève de l'exploit physique. Il faut nager dans une mer de torses suants. Mais au fond, c'est aussi pour ça qu'on aime cette soirée. Les cachets verts hérités de Marcel font leur effet: on flotte dans ces eaux tièdes, c'est bien. Aline et les Zurichois sont dans un trip love: dans un coin de la piste, un groupe de naufragés qui dérive doucement, accolés et abouchés, yeux clos, indifférents à tout. C'est bien aussi. On monte parfois voir ce qui se passe à l'étage; on s'assoit un moment. On finit toujours par redescendre à la piscine, dont le fond se remplit de couches alternées de verre brisé et de gadgets absurdes (vers lumineux, éventails au chiffre de tel ou tel site de rencontre – le genre d'objets qui deviennent déchets aussitôt produits, batteries incluses.) Vers six heures, premiers signes de fatigue. Je vieillis, c'est sûr... On quitte l'ancien cinéma bondé aux premières lueurs de l'aube. Il pleut. On marche rapidement, tassés sous nos capuchons, pour retrouver l'hôtel, mouillés et plutôt sales. Le bar n'est pas encore ouvert. Il faut ressortir, affronter la gare et ses passants pour ramener deux gobelets de thé...

Week-end bruxellois, voyages en chambre de diverses natures, fêtes entre amis: ces deux semaines de pause m'ont semblé un mois. L'année commence sous de bons auspices. Je n'ai fait que récolter les bienfaits généreusement dispensés par des amis bien intentionnés. Plus jeune, mon plaisir aurait sans doute été altéré par un rêve stupide: que ces apports, multiples et bienfaisants, soient le fait d'une seule et même personne, à la prodigalité universelle. Alors, je croyais à l'existence de ce modèle chimérique. Il faut du temps pour comprendre que les attentes, les besoins peuvent être comblés de différentes manières, et par différentes personnes. Mais même morcelée, même impermanente, ma part de fortune me paraît exceptionnellement généreuse. 
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Fuse 2:28

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