Le gay Marseille

Le programme des festivités était à la fois impressionnant et difficile à décoder. Une orgie de soirées, annoncées dans des couleurs rose et jaune et une typo primesautière. Comment allions-nous gérer autant de tentations? Entre les raouts massifs importés d'Ibiza (La Leche, Matinée) et les soirées nîmoises (Mecanik), il n'y a, au final, pas eu à faire de choix cornéliens. La désorganisation, la mauvaise fréquentation de l'Europride marseillaise imputable à différents facteurs – les dissensions entre associations commissaires de l'évènement étant le plus souvent invoquées dans les paniers de crabes des forums de Facebook – tout cela a concouru à régler le problème pour nous: la plupart des grands évènements dance ont été simplement annulés, comme d'ailleurs le concert de Sheila. Restaient les soirées Mecanik, au Dock des Suds, ancien entrepôt depuis longtemps hôte des grands rassemblements festifs phocéens. Jeudi soir, selon le programme imaginé, il nous aurait fallu déballer nos tenues de latex pour nous rendre à la soirée "Fetish". Or ce soir-là, PY et Gab étaient à Marseille et nous avons passé la soirée ensemble, à la maison, à faire la dînette et bavarder jusqu'à minuit, tandis qu'un énorme orage douchait la ville bouillante. Ne restait plus, dès lors, que deux soirs pour sortir.
Vendredi donc: on arrive au Dock vers minuit pour la soirée Beardrop. Je n'étais pas revenu là depuis la piteuse gay pride de 1998 à laquelle j'avais participé, un peu par hasard. On paie 25 euros. Le type nous donne des tickets pour la soirée Mecanik. Renseignements pris, les deux soirées ont, semble-t-il, fusionné. Décor: deux immenses salles. Labyrinthe et toiles de camouflage dans la halle côté rue; bar, light show et autres installations festives dans la salle principale. Or cet énorme volume, qui peut accueillir plusieurs milliers de fêtards, est vide. Une centaine de types se serrent sur les pavés inégaux de la cour. Sono à fond, sans doute pour compenser la fréquentation déficiente des lieux. Comme les fumigènes, d'ailleurs, qui emplissent pudiquement l'espace d'un voile cache-misère. On fait quelques rondes, on bavarde un peu avec les types de la prévention. On s'assoit sur le podium (celui où, imagine-t-on, Rossy de Palma, star annoncée de la soirée, aurait dû faire le show). Justement la voici, coiffée d'une sorte de turban, encadrée par des types du staff. Non, on n'aimerait pas être à leur place. Ils ne vont sûrement pas la forcer à se produire devant un parterre aussi clairsemé. Tout à coup, la sono est coupée, alors que nous sommes dans la salle du fond. Quelqu'un fait une annonce micro sur un ton colérique. On revient dans la cour, on se renseigne. Un type de Beardrop, hystérique, vient de menacer d'arrêter la soirée, se plaignant de ne pouvoir travailler dans de telles conditions. Ambiance... Mais la musique reprend. Jusqu'à quand? Trop de mauvaise vibrations, décidément. Nous décidons de partir. Retour à pied jusqu'au cours Julien.
Samedi, les rumeurs vont bon train. La soirée au Dock serait tout simplement annulée. Il faut recouper les infos et commentaires contradictoires et enragés de Facebook avec la page web officielle, qui assure sobrement qu'une soirée se déroulera aux Docks, comme prévu... Nous commencerons par le village, sur la plage du Prado. Pour cette ultime soirée d'une série de quinze jours (quelle ambition démesurée!), le site a enfin fait le plein. Entre la musique bon enfant, très "pride" de la grande piste et le son minimal du "bar des cons", on n'y trouve pas vraiment notre compte. Dommage! Une soirée dans ce cadre maritime, sous les étoiles, avec les lumières du Luna Park et de la rade en guise de décor aurait été agréable. On retourne donc aux Docks. Et ce soir, la mayonnaise prend. Si les salles demeurent plutôt vides, la cour grouille de monde. Il fait chaud, la musique est bonne, on danse dehors, sous la toile de camouflage qui laisse deviner la silhouette de la grande tour voisine. On revoit Thibault, le grand Alain, plusieurs gars de Zurich. C'est la fête! Le beat est très rapide, le son solide, le DJ assez inspiré. Les drogues circulent. Les types sont accessibles, plutôt sexys. On nous offre du K, produit auquel je n'ai plus goûté depuis plusieurs années. Me voici perché, dans un état de légèreté amusant, tout à la musique qui offre quelques passages itératifs délicieux, et à la fois tout aux types avec qui je danse, en suant comme un athlète. Je lève mes yeux. Voici la courbe de l'avant-toit. Le bâtiment aux façades noircies. Je me souviens de la soirée du 11 juillet 1998, la première soirée électro à laquelle j'aie participé. Ici même, au Dock des Suds. Je me sentais comme un Martien dans cet espace sombre où erraient des types, avec qui je ne parlais pas. J'étais resté un très long moment à regarder la grande piste, quasi déserte et luisante sous l'éclat bleuté et incessant des stroboscopes, essayant vainement de décoder cette musique implacable. Au petit matin, j'étais rentré à pied en prenant un chemin trop compliqué, au-dessus de l'A7, jusqu'à mon hôtel assez minable, rue Sylvabelle. Vers la Canebière, je m'étais acheté un sandwich trop copieux. Il contenait même des frites.

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