La fin des rêves

Un soir de la semaine dernière, de retour de chez Pascal, je rentrais chez moi. L'air était froid, humide. Quelques voitures passaient, pressées, fuyant dans la rue plongée dans l'hiver, sous son éclairage orangé. Et tout à coup, la netteté s'est faite, dans ce lieu de passage, ce décor sombre et ordinaire. J'ai pris conscience du fait que je ne pouvais plus continuer à rêver à mon avenir, comme on le fait quand on est plus jeune. Socialement, professionnellement, cet avenir est devenu mon présent. Il ne m'arrivera rien de mieux, rien de plus. Artistiquement, le seul domaine où j'aurais pu tenter ma chance eût été l'écriture. J'ai des amis, des connaissances qui ont fait cette expérience, qui ont publié de livres. Je ne sais pas vraiment ce que ce statut leur apporte, mais je les admire. Même si leurs ouvrages ne sont tirés qu'à quelques centaines d'exemplaires, même s'ils disparaissent très rapidement des gondoles des libraires. Je les admire surtout d'avoir su et pu mener leur projet à son terme. D'avoir passé du temps sur leurs textes, en plus de leur travail. Moi, je suis d'une part trop paresseux, pas assez passionné pour ajouter un travail non rémunéré à mon travail de salarié; et surtout d'autre part, je ne suis pas suffisamment créatif. J'avais le fantasme de l'écriture, mais en réalité, juste celui d'être un écrivain qu'on interviewerait.
Donc je sais donc maintenant qui je suis, socialement et professionnellement. Il n'y a plus de promesses. Je ne serai jamais fameux. Jamais brillant. Enfant, on m'a fait croire que je l'étais. Que j'étais intelligent. Mais ce n'est pas vrai. On voulait soit me faire plaisir, soit me stimuler. Je suis probablement dans la moyenne, sans plus. Aussi, j'ai cru moi-même que j'avais de l'esprit et de l'humour. En réalité, je suis juste sensible à l'humour, mais d'autres en ont bien davantage que moi. Je suis plus du côté des rieurs que du côté de ceux qui font rire.
C'est donc, subitement, la place vide, le trou laissé par l'effondrement du château de cartes, par la disparition brutale de ces vaines et vagues rêveries, de ces croyances, que j'ai aperçu l'autre soir. Je me suis demandé aussitôt comment continuer, quel espoir, quel grand projet nourrir, concrètement, pour avancer avec un minimum de foi. Sans avoir de réponse toute prête à cette question existentielle, il me semble que je dois me concentrer non pas sur le faire ni sur le paraître, mais sur l'être. Je vais devoir me libérer du rôle que je tente, depuis longtemps, de jouer, par rapport à mes fantasmes de réalisations sociales. Je vais certainement devoir cesser d'essayer d'imposer (plus ou moins adroitement, plus ou moins consciemment) une image de moi-même. Ne pas faire quelque chose de bien et vouloir que ça se sache, mais plutôt être quelqu'un de bien. Et surtout à mes propres yeux, plutôt qu'aux yeux du monde.

Stephan est venu me voir, ce week-end. Nous avons nos petites routines, depuis le temps. A chaque fois par exemple, nous prenons de petits additifs psychoactifs. Cette fois, je m'étais procuré deux gélules de bonheur en poudre. Vendredi en début de soirée, nous étions bien ensemble, même si j'étais un peu fatigué. L'intimité s'était recréée, les jeux avaient débuté et tout à coup, la conversation s'est orientée sur le substances. Saisissant l'occasion, j'ai fait savoir que j'avais ces pastilles à disposition. Alors nous les avons prises, bien sûr. Ensuite, je me suis retrouvé dans une position d'attente. J'attendais que ce produit déploie ses effets. Et quels effets? Des effets complètement fantasmés, bien sûr (nos sensations seraient décuplées, toutes les barrières tomberaient, nous allions nous retrouver pleinement, nous allions fusionner...) Bien sûr, rien ne s'est passé comme ça. Mon énergie sexuelle a fait place à un combat acharné contre moi-même, une lutte visant à maîtriser mes pensées. Je me suis isolé, ce faisant. Mon esprit vagabondait, occupé à mille réflexions parasites, certainement dues à la chimie avalée. Et je tentais vainement de rester présent, de ramener mon esprit à nos jeux. Je m'en suis ouvert à Stephan et grâce à cette conversation, j'ai réalisé que ma sexualité me décevrait tant qu'elle serait subordonnée à des attentes, à des fantasmes, quels qu'ils soient. De la même manière que j'ai pu rêvasser à ma future vie professionnelle et sociale, j'ai fantasmé ma sexualité. Or je me rends bien compte que j'ai couru après des chimères et que la réalité est ailleurs, certainement beaucoup plus proche que ce que j'imaginais. Au fond, ma vision de la sexualité est complètement surfaite. De même, certainement, la pratique que j'en ai et l'image que je donne dans ce domaine sont également surfaites. Et quand j'y repense, il est à craindre que cette posture m'ait isolé, m'ait éloigné de personnes qui ne se doutaient pas de ce handicap, de cette erreur de jugement. 

J'ai tenté d'imposer une image, puisque les images se sont imposées à moi. J'y ai cru. J'ai tenté de ressembler à ce que je croyais devoir faire, devoir être. J'ai confondu mes impressions avec la réalité. Je me suis trompé sur toute la ligne.

Il est temps de faire autrement. J'ai tout à redécouvrir, au fond.

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Quidam

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