Adieu Bernadette
Ton numéro qui s'affiche sur le cadran, mais ce n'est pas ta voix. Je comprends tout de suite.
Tu n'étais pas malade, juste fatiguée.
Je revois tes bas à coutures à la Marilyn, plus personne d'autre que toi n'en portait. Je me souviens de ta cuisine, les craquements du feu, les chats, le goût du thé mélangé à un peu de crème dans des tasses bleues. Aussi, la grosse boîte métallique de lessive toujours remplie de sucre, sous l'escalier. Le transistor sur la table - pas celui de ces dernières années mais l'ancien - celui qui était brun et beige, celui avec lequel tu écoutais "Minie" Grégoire...
Je me souviens d'un après-midi de neige à Gratteloup. Le vent dans les fils téléphoniques. Le froid qui mordait à travers les moufles. Je te revois un matin, au printemps 1974. Je me suis réveillé et c'était toi qui ouvrais les volets dans ma chambre, je me souviens du choc dans mon ventre, tu m'avais dit: Ta maman a dû partir en urgence voir ton papa à Saint-Loup, cette nuit...
Je te revois avec ton époux, on était partis tous les trois avec votre 4L, et Peggy, le cocker, faire une promenade au Mont-Lambert. C'était une fin de journée. Vous aviez pris une couverture à carreaux et, à l'orée de la forêt, on s'y était installé. On voyait les alpes, le lac, la Savoie et la campagne et les champs, et vous vous étiez embrassé, un moment d'intimité entre vous. J'étais très jeune mais ça m'avait touché, surpris, des vieux qui s'embrassent...
Je te revois pleurer dans ta cuisine, un mouchoir tout froissé dans ton poing serré, quand Monmon avait emmené un chat malade à la chaufferie, en décrochant un fusil du manteau de cheminée...
Je me souviens de ton éternel rose à lèvres, de l'odeur dans ta salle de bains.
Je te revois ces dernières années. A ton visage flétri, à ton corps qui se recroquevillait, j'encaissais silencieusement, à chaque fois, la mesure impitoyable du temps écoulé. Tu étais fière, autoritaire, gentille, dure et comme un peu distante aussi. Adieu Bernadette!
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