Pacaberlin


Poésie fanée de la Leuthenerstrasse, une rue oubliée, grise et poudreuse, une rue de jadis, dominée par la structure porteuse du gazomètre de Schöneberg (visites publiques le samedi, des guides escortent de petits groupes jusqu'à la couronne supérieure [78 m. au-dessus du sol] Compter 35 € par personne. Option: attendre que les prix baissent.) Pâques à Berlin donc, an IV. Les codes du tourisme sexuel pascal gay dans la Hauptstadt sont maintenant connus — bien qu'encore perfectibles. Le soir du Vendredi Saint, éviter absolument de s'égarer dans les boîtes à cul de second ordre pour converger (notez l'à propos du verbe) au Mutschmann's, comme tout le monde. Un vieux bain de foule, surtout si l'on porte du latex. Ce n'est pourtant qu'un pédiluve, le grand bain étant prévu, comme de coutume, samedi soir à la Snax. Ici, quelques conseils utiles: si la météo n'est pas cruelle, on préfèrera piétiner 75 minutes à la porte, pour se retrouver ensuite dans un Berghain bondé, que d'entrer avec les premiers en attendant que les 2999 suivants mettent de l'ambiance. Pour la tenue, trois options: cuir, latex, voire militaire (le short de footballeur restant une alternative). Pour qui se la joue berlinoise de souche, il reste bien sûr la possibilité de n'arriver que beaucoup plus tard, en toute fin de nuit, ou en tout début de matinée. Musicalement, vous serez frais pour goûter au meilleur: cette année, Marcel Fengler, pilote de ligne, section gros porteurs et long courrier. Ses collègues seront déjà repartis avec leurs grosses caisses: adieu les gars. En revanche, votre entourage sera moins frais: grimaces stéroïdées, maxillaires pilonnant les chewing gums, traits creusés. On ne peut, hélas, pas tout avoir, ni tout vouloir.
Six heures et demie, on débranche le Mac; les platines se mettent à tourner. Derrière le diamant, quatre petits fils de rien du tout. Puis des amplis invisibles. Puis les baffles énormes. Et le son: quelques minutes de démo de la puissance de feu maison, gamme infrasons. Poils, vêtements, cheveux, balustrades, vitres: une onde énorme s'installe et tout vibre. Les plus fragiles se couvrent les oreilles des mains. Puis, le A380 décolle, chacun étant à bord, et tant pis pour ceux qui préfèrent rester patauger dans la gadoue de la soute. On se regarde. Le type en latex noir. Le type en latex blanc. Le type qui nous masse toujours. Quelques autres encore, de ceux que l'on voit là, à cet endroit précis, au lieu dit "le coin du chien", ce matin-là de l'année. On se regarde comme l'on se transforme, tous, en derviches tourneurs. A ce moment-là le temps ne veut plus rien dire, ni la fatigue, ni rien. Ne reste que le son, que la musique, de celle que vous n'avez peut-être jamais entendue. Quelques instants d'une densité supérieure à tout ce que vous avez vécu — croyez-le ou non.

Dernier conseil: ne pas attendre l'atterrissage. Ouvrir son parachute et sauter en plein vol. C'est mieux. Avec un peu de chance, on atterrira dans Görlitzer Park. Il faut simplement traverser les ruines de l'ancien tunnel éventré: une brève zone d'ombre, avant d'attaquer quelques volées d'escalier et de retrouver le ciel continental, limpide, au sommet des tours qui dominent la ville. L'altimètre se recale. Au calendrier, nous avons mercredi.
[C'est que l'essentiel chez l'homme ce sont ses yeux et ses pieds. Il faut savoir voir le monde et puis marcher vers lui. - Alfred Döblin, Berlin Alexanderplatz]


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