8 ½


Une fébrilité. Sentiment de m'épuiser en vaines gesticulations. En virtuelles futilités. Un moment d'ébullition dans une mare assez froide – un marécage plus grand qu'on l'imagine. Plus long à traverser. Il faut écarter des branches, des roseaux, on croit arriver au bout, mais ce n'était qu'un coude, le marais s'étend au-delà. Je n'en distingue pas encore l'extrêmité.
La météo: transition vers l'été à cloche-pieds. Des averses. On n'est jamais sûr de pouvoir profiter du soleil; les nuages, la pluie ne sont jamais loin.

Le travail: la tempête de ce printemps est passée. J'ai bien failli perdre le cap. Accompli ce qu'il fallait pour me rétablir, pour retrouver un rythme de croisière, la sérénité dont j'ai besoin. Je navigue sur une mer calmée; l'orage s'est déplacé vers l'est (suivez mon regard...) Et je me suis réjoui, jeudi dernier en réunion, de voir comment le vent tournait. De voir qui avait bédé, de voir qui paniquait en voyant le pain s'amonceler sur la planche. D'entendre les voix monter dans les aigus sous l'effet du stress. Chacun son tour, ma vieille. Hahaha! Oui, je me suis réjoui. On a les joies qu'on peut.

La vie quotidienne: déficit chronique de sommeil. Je rêve que je dors, c'est dire. J'ai encore aggravé mon cas avec la sortie du week-end dernier. Ajoutons à cela une invasion de fourmis rouges dans la culotte, avec le prurit qu'on imagine... La nuit dernière, un bruit énorme me tire d'un sommeil comateux. Un crétin vient de faire démarrer sa moto juste sous ma fenêtre. Le pneu siffle, il file plein gaz. Le bruit furibard de son engin se dilue dans la nuit. Je me réveille complètement, en colère. J'aimerais qu'il se viande dans le tunnel de Chauderon. Que des flics soient là, justement. Qu'ils l'arrêtent. L'incarcèrent illico. Je regrette de ne pas avoir été réveillé plus tôt, d'avoir manqué l'occasion de lui balancer une enclume sur la tronche depuis mon balcon. Je vais pisser, je bois de l'eau, je me recouche. Le sommeil ne vient pas. Des oiseaux commencent à chanter, des corneilles vocifèrent déjà. Je redoute l'heure fatidique, celle où les bus débutent la bruyante noria qui les voit quitter le dépôt en file indienne pour s'égailler sur le réseau. Si je ne dors pas avant, je ne dormirai plus. J'allume: l'horloge ne marque que 4:38. Je me relève, je croque un bout de somnifère. Je me masturbe un quart d'heure. Je jouis presque à sec. Je me rendors enfin. Le réveil sonne à 7 h 25: impossible de démêler le rêve de la réalité. Je laisse sonner. Me rendors. Laisse sonner à nouveau. Glisse à nouveau dans le sommeil volé. Rêve que je me lève. Me lève pour de bon juste avant 8 heures. L'eau du lavabo n'est pas assez froide sur mon visage.

Je ne peux m'empêcher de penser: à quoi bon? Aller au travail, s'énerver contre ceci ou cela, se réjouir de petites choses, gagner de l'argent. Manger un sandwich en lisant le journal. Rentrer chez moi. Chatter. Regarder des clips pornos bancals postés par d'autres sex-addicts. Me branler. Manger encore. Regarder la télévision. Chatter. Fumer un pétard. Lire trois ou quatre pages d'un polar dont le nom des protagonistes me devient étranger d'un jour à l'autre. M'endormir en me disant que la nuit sera courte. Me tondre les cheveux toutes les deux semaines. Couper mes ongles, sans arrêt. Et les poils qui envahissent mes oreilles. N'avoir que des menus projets, de petits voyages, de plaisirs fugaces, qui brûlent aussi vite qu'autrefois se consumaient les papiers des oranges. J'ai conscience d'être une personne stérile, qui vit pour elle-même. Et vous savez quoi? Cette pensée n'est même pas douloureuse.
Je me demande juste si tout ceci à un sens; et si oui, lequel. Est-ce que je suis piégé? Est-ce que plus rien ne changera, jamais? Est-ce que je vais rester sur ces rails-ci? Y aura-t-il, plus loin, plus bas, d'autres aiguillages, encore?

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