Hard On (& the Queen)

Métro Vauxhall, vers 23 heures. Un carrefour informe, balisé par la marquise d'acier de la station, qui s'incurve et pique brusquement à 45 degrés au-dessus du parvis, vers le ciel d'encre où clignotent et grondent de lents avions. Personne ne sait où est Goding street, sauf deux gars qui s'apprêtent à entrer au Hoist et qui se disputent l'honneur de nous montrer le chemin. Après le carrefour, une rue insignifiante, aux pavés disjoints, qui longe le viaduc ferroviaire. C'est dans une des arches, une boîte plutôt sombre et un peu crasseuse. Dans l'ignorance des coutumes londoniennes, on est venu trop tôt: le club se peuple à partir de minuit. Deux types me racontent la même histoire: la soirée Hard On a réduit la voilure; moins fréquentée, elle s'est redéployée ici, dans un plus petit espace. Le mélange recherché entre sex club et dance club n'est pas optimal; le premier aspect l'emporte, dès lors que la sono est faiblarde, le DJ mal inspiré. Sur l'arrière de la mezzanine, le dark room se remplit et il faut bientôt se frayer un chemin dans un tunnel tiède et odorant de chair suante, de latex gluant et de cuir humide pour y transiter. Le fumoir empiète sur la rue, derrière des palissades qui nous soustraient aux regards extérieurs, sous une grosse chaufferette à gaz. La lombalgie qui s'est déclarée la veille et m'a empoisonné la soirée chez ma cousine s'est installée; même les drogues n'en atténuent pas l'effet. Alors je m'assois souvent sur les banquettes gluantes de lubrifiant. Un type en combinaison de latex me cramponne, la trentaine, le visage un peu anguleux, les narines vissées à son flacon de poppers. Au fil des snifs, il se lâche toujours plus. Bientôt nous sommes dans les WC où il faut l'arroser d'urine; puis on sort de la cabine, le voilà qui rampe sous les pissoirs et veut que je demande à d'autres de se soulager sur lui. Ce petit jeu m'amuse un temps. Mais vers cinq heures, je suis las de la soirée. Rien de fou en fait, rien qui vaille vraiment Berlin. Je ressens mon lumbago, les drogues ne font plus effet et je n'en veux pas reprendre. Il faut partir.
Incroyable que dans une métropole comme Londres, le métro ne roule pas la nuit. On commence par marcher, on passe Vauxhall Bridge, on traverse le quartier de Pimlico en remontant dans le froid en direction de Victoria Station, le long d'une avenue quasi déserte. Des voitures de police passent, gyrophares et sirènes. Quelques bus. Aucun taxi. La halle des pas perdus de la gare est éclairée à giorno. On s'achète des sandwiches avant de monter dans un taxi qui entame en brinquebalant la traversée du centre par des chemins de traverse, tandis que Pascal se concentre et respire bruyamment pour éviter de vomir.

Dimanche: réveil en début d'après-midi. Il  nous reste un peu de temps pour compléter notre parcours touristique de la veille. Dans une cafétéria proche de la tour BT, la ventilation fait un tel bruit, sombre et répétitif, qu'on en vient à se demander si le fond sonore n'est pas un morceau de hard core qui tournerait en boucle. Tous les grands magasins sont ouverts sur Oxford street: ce n'est pas la crise partout... On traverse Hyde Park comme la nuit tombe. L'obscurité est là lorsqu'on rejoint Buckingham Palace. Le drapeau est hissé sur le toit: la Reine est chez elle. Que peut-elle faire en ce moment même? Peut-être qu'elle regarde un vieil épisode du Muppet Show, dans son salon télé? On longe les grilles du palais, là où elles obliquent vers les Royal Mews. Entre les façades austères du palais et ces grilles, une imposante distance, difficile à évaluer. Cent mètres, peut-être. Cet espace vierge, pavé, plein d'ombre, impressionne. Il marque la distance entre la monarchie et le peuple, qui s'agglutine le long des barreaux de fer forgé, dans le papillotement des flashs. La distance entre la vraie vie et la pompe mise en scène par cette cour, l'apparat, les voitures blindées, les gardes en uniforme et bonnet, tout ce faste et ce décorum d'un autre âge qui fait fantasmer les masses
On soupe tôt, à l'étage d'un pub, près de Victoria. La décoration lourde de la salle, où nous sommes les seuls dîneurs, convient à notre humeur, notre fatigue, aux relents de substances qui ressuscitent encore dans nos veines, par instants. La tambouille de pub nous amuse: une épaisse tranche de rôti anémique nage dans la gravy dans l'assiette de Pascal. J'ai un demi coquelet industriel dans la mienne, où la sauce brune est retenue dans une coque de pâte feuilletée au fond mou, empli d'une substance indéfinie. L'estomac calé, on se transporte jusqu'à Soho où l'on marche au hasard en tirant sur un nouveau joint. On se fait refouler à l'entrée d'un bar où ils n'acceptent que des "couples mixtes". Voilà voilà. Alors on atterrit dans un autre bar, plein de couleurs criardes (rose, bleu, vert); un DJ passe une musique putassière truffée de saxophones. Un ivrogne norvégien vient nous faire un brin de causette. J'ai commandé des gin and tonic, en espérant qu'ils les servent avec du concombre; mais non, avec du bête citron. Tant pis. On rentre à pied, en regardant les vitrines des magasins de décoration sur Tottenham Court road. Quelle ville amusante! On devrait y aller plus souvent...

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