Le classeur des rêves

Ma mémoire m'a joué un tour, je m'en suis rendu compte la semaine dernière. Les affaires de mes grands-parents, que j'avais cru perdues au cours de leur trop long stockage dans la grange de Bernadette, ces affaires ont refait surface. Elles attendaient d'être redécouvertes dans la soupente de PY, où nous les avions stockées ensemble, après avoir débarrassé de la grange ce qui restait du mobilier de Pépé et Mémé, et emporté ces quelques cartons – ne laissant là-bas qu'une armoire vide. Avec le temps, j'avais oublié ce transport, oublié ces cartons, que je croyais restés dans l'armoire abandonnée. Lorsque la maison a été vendue, que Laurence m'a prié de vider la grange, j'ai été déçu et fâché de trouver l'armoire vide. Et j'ai donc imaginé qu'on en avait volé le contenu. Un salaud, un pilleur de souvenirs. Un profiteur. J'avais fait le deuil de cette vaisselle, de ce linge de maison brodé, de ces vieux magazines. Et voilà que je retrouve tout, bien emballé dans des pages du Journal de Genève ou du Nouveau Quotidien datées de septembre 1997. Il faut faire un nouveau tri, faire de la place dans les armoires, je ne vais pas tout garder.
Avec toutes ces choses oubliées réapparaît aussi mon "classeur de rêves". Un classeur demi-format, rempli de feuilles A4 chargées de caractères inégaux, tapés à la machine, sur du papier qui jaunit déjà. Sur chaque feuillet, la transcription d'un rêve, exercice que je faisais alors méthodiquement entre février 1986 et décembre 1988, notant à chaque fois la date et le lieu où j'avais dormi (chez ma mère, chez moi, chez Denis, chez Yann, chez Bernard, à l'hôtel...)
Je parcours ces textes, vite et mal écrits, où la description du songe, loin de la synthèse, s'alourdit de futilités, de détails inutiles. Je ne faisais aucun tri de ce matériau nocturne, tapais tout en vrac, notant pour telle nuit jusqu'à trois rêves distincts (la description de certains noircissant deux feuillets), d'autres se résumant à trois ou quatre lignes... Je me souviens encore de certains rêves, je revois le décor de telle ou telle situation, tandis que d'autres me paraissent totalement étrangers. Parfois, il semble évident que le récit fusionne deux songes; peut-être par commodité... Je m'égare parfois à justifier des incohérences, à les commenter, maladroitement.

Ce qui me frappe en parcourant ces pages, c'est la mise en scène constante de mon quotidien d'alors; de ses acteurs. Leur transformation fréquente en adversaires, souvent sournois, dont je dois me méfier, car ils cherchent à me nuire. Je tente de les combattre. Je les provoque. Je les fuis. Ces rêves sont, au fond, le signe d'une personnalité paranoïaque alors extrêmement marquée. Ils traduisent aussi le désordre de ma vie d'alors, entre enfance et âge adulte; ses incohérences, ses doutes, ses obsessions, ses fantasmes. Je ne suis pas vraiment content, au fond, d'avoir retrouvé ce classeur.

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