Octobre 2002

Le soleil se reflétait sur les lames du parquet de l'appartement totalement vide. J'ai rempli la baignoire et je m'y suis plongé. Sous l'eau, j'entendais les bruits dans les appartements voisins. Des claquements de porte; le grincement des joints des robinets; de la vaisselle remuée dans une plonge. Aussi, le bruit incessant des moteurs. Car en bas, dans la rue, coulait cette rivière grise, incessante: le trafic. J'ai ressorti la tête de l'eau. Le robinet de la baignoire, antédiluvien, gouttait. Le porte-savon était piqué de rouille. 
Le matin du déménagement, il pleuvait un peu. Jean-Pierre m'a aidé à transporter les cartons; les déménageurs se sont occupés de mes quelques meubles. Quand ils ont eu remonté le lit et l'armoire dans ma chambre, le type a regardé autour de lui, fier de son boulot et m'a dit en souriant: "Voilà. C'est comme si vous n'aviez pas déménagé!" J'ai envoyé Jean-Pierre faire des courses à la Migros et j'ai continué les rangements.
La première nuit, vers quatre heures du matin, j'ai été réveillé en sursaut: les flics procédaient à une arrestation sous mes fenêtres, en utilisant le mégaphone de leur voiture ("Arrêtez votre véhicule!") La deuxième nuit, des soulons ont vociféré dans la rue. A cinq heures et demie, tous les bus de la ville sont passés en file indienne; puis le trafic a recommencé. J'ai pensé que je ne pourrais jamais dormir dans cet appartement. La troisième nuit, j'étais habitué au bruit.
J'ai pris une semaine de congé. Il faisait beau. Je suis allé chez Ikea, chez Brico-loisirs, chez Fly. Partout. J'ai acheté de la vaisselle, des meubles, de la peinture, une lunette de WC. J'ai poncé et verni le porte-savon. Repeint les portes des placards de la cuisine. On m'a livré un canapé. J'ai apprivoisé un réfrigérateur qui avait la taille d'une boîte à chaussures. J'ai démonté et jeté une étagère immonde. Un soir, la concierge, âgée d'une vingtaine d'années, m'a expliqué le fonctionnement du lave-linge et du séchoir comme si je n'avais jamais fait une lessive de ma vie.
Par la fenêtre, le ciel était clair, le vent poussait des trains de nuages dans l'air vif au-dessus de la crête du Jura. Je me suis senti revivre. J'avais repris possession de moi-même.
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Trente-cinq

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