Par les collines


Quelque part dans le jardin, un chat invisible miaule d'un ton grave, vaguement menaçant. La Bastide neuve doit être habitée à l'année, maintenant que les voitures vont partout: les volets sont ouverts; sur le toit, une antenne de télévision; sous un arbre, une voiture banale. Dans ce recoin rupin, l'asile des vacances de Pagnol fait négligé. Quelque pas plus haut, les portails et murs de jardin de maisons plus cossues. On distingue une piscine derrière la haie. Le chemin est raide: à gauche, un enclos avec des citernes d'eau. Puis un grand portail vert, béant: le passage est libre, la saison des feux de garrigue est terminée. Les collines sont à nous ce mercredi après-midi, sous l'éclatant soleil d'octobre. Végétation basse, genêts, chênes kermès, pins d'Alep, houx, épineux en pagaille (des genévriers peut-être), touffes de baouco caressant le sol calcaire. Assez vite, le chemin se divise. Pas d'indicateurs, hormis quelques traits de peinture jaune, sur le sol ou sur un tronc. On prend à droite, nous voici près d'une grotte noire ouverte dans la pierre ocre. Le sentier tourne, nos pas dans les gravillons se détachent dans le silence massif de ce paysage aride de pierre, d'azur et de rude verdure. On attaque le flanc de la montagne, il faut deviner un sentier, des épines nous griffent les mollets. Voici l'arrête, qui nous mènera vers le sommet du Taoumé. Au nord, à l'est, des collines, de la garrigue à perte de vue. A nos pieds, Marseille s'étale dans la brume côtière, devant la mer grise et blanche qu'il faut deviner. Il va falloir redescendre, maintenant. Un grand chemin qui contourne la colline nous nargue: impossible de le rejoindre, les sentiers qui semblent y mener sont de faux amis qui vous égarent dans les broussailles, ou vont au-dessus vers un abrupt infranchissable. Mieux vaut revenir sur nos pas. Revoici le sommet: il n'y a plus qu'à suivre le marquage, le chemin vers la Treille est bien indiqué maintenant. Tant mieux: il ne nous reste plus rien à boire...
Hameau des Bellons: à un carrefour, je crois reconnaître la maison d'Isabelle. Le jardin jaloux se cache derrière une muraille. Le nom de Lili se lit sur la plaque d'un transformateur EDF... On descend jusqu'à la Treille, le soleil tape encore assez fort. On s'assoit à la terrasse du tabac au carrefour des Quatre-Saisons,  rêvant d'un sandwich. Mais il n'y a plus rien à manger, nous dit le patron. On prend deux panachés, à l'ombre d'un parasol. Un couple triste finit son café et s'en va. Des types arrêtent leur voiture sur le passage piétons et viennent chercher leur paquet de cigarettes. Après le silence des garrigues, revoici la civilisation, dans sa manifestation plus plus sotte: la circulation automobile. Les moteurs pétaradent, vrombissent, les conducteurs s'impatientent, klaxonnent, un trafic déraisonnable semble converger vers ces  trois malheureuses routes. Je repense à l'époque de Pagnol. J'imagine des ânes, les murets tapissés de clématites... Un peu plus bas, dans une boulangerie où l'on se restaure enfin d'une fougasse et de navettes, Mig nous apprend au téléphone que Lausanne est dans le brouillard. La nouvelle nous paraît un peu incongrue, alors même que nos faces viennent d'être tannées par cette incursion dans le ciel provençal.
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