Porto

Il faut suivre le fleuve, au bout d'un moment la ville s'effiloche. On marche sur des pavés, sur les rails d'une antique ligne de tramways brinquebalants qui ne circulent que la journée. Longer des immeubles abandonnés, des entrepôts. La route s'éloigne, emprunte une passerelle posée au-dessus de l'eau – mais nous restons sur le quai, sur l'ancienne route, dans cette zone de transition qui précède l'arche immense d'un pont, jeté très haut entre les deux rives, comme inaccessible, chargé de trafic. Continuer, même si le soir tombe. Répondre à l'appel du large, qui fait là-bas, tout au bout, une tache lumineuse, vive dans l'obscurité qui s'installe. Marcher encore. Des immeubles à nouveau, plus récents. Vides, posés au bord d'une falaise verte. Un quartier d'habitation. Puis le bâtiment d'une douane, ou d'une capitainerie. La lumière d'un petit café, on s'arrête, on prend une bière, des croquettes. Le patron vient ranger les chaises: ils ferment. On repart, il ne fait presque plus jour, on continue. Voici un parc, on le traverse, côté eau toujours et maintenant ça y est. Dans les accalmies du trafic, on l'entend, ce grondement lointain, régulier. La mer, que l'on va bientôt rejoindre et que l'on distinguera dans la nuit tombée: sur une jetée, au large, où s'écrasent de bruyants rouleaux d'écume. Nous voici arrivés à un bout du monde, attirés par la promesse duale de l'océan, promesse de liberté absolue mais aussi de mortelle, d'écrasante et indomptable force. Il est là, derrière ce mur, au-dessous d'une terrasse de restaurant éclairée, avec ses vagues qui déferlent dans la nuit, sur la plage, sous les pilotis, dans le vent, tandis qu'au loin alternent les éclats verts et rouges de lointaines balises et que tremblotent les lumières d'un grand navire immobilisé au large. Probablement un pétrolier. D'un côté cette immensité dure, sauvage, et de l'autre côté du mur, la civilisation, triviale avec ses cabines téléphoniques aux vitres manquantes, les lumières tamisées dans le salon des gens, un dimanche soir ordinaire, en hiver, les saletés par terre, les voitures inertes le long d'une avenue. Deux mondes que tout sépare et qui se rejoignent simplement, comme si c'était chose naturelle.
On revient le lendemain, ou le surlendemain, vers midi. Il fait jour, le ciel est plutôt clair. L'océan est là, qui s'écrase périodiquement sur le sable et les rochers bruns qui rappellent la Bretagne. On longe une promenade faite de lames de bois. Voici un petit café de plage. Seules quelques tables sont occupées. On s'assied, on mange quelque chose en regardant le mouvement de l'eau sans plus penser à rien. Le vent souffle un peu, l'eau roule, le soleil brille, le sable ruisselle: exception faite des tables et des chaises en plastique frappées d'une marque de glace, il n'y a rien ici que l'essentiel. L'eau, la terre, l'air et, là-haut, derrière quelques nuages, le feu d'une misérable étoile, d'un recoin de la galaxie, qui nous réchauffe tant bien que mal.

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