Liste de présence (2)

La voisine théâtreuse: quarantaine bien tassée. Nom à consonance grecque. Très bavarde, très curieuse. Assez exotique, derrière ses grosses lunettes de soleil. Au début, ne se plaisait pas du tout dans l'immeuble. Déteste le restaurant turc voisin, qu'elle considère comme un repaire de mafieux. Le bruit de la terrasse, en été, l'empêche de dormir. S'est aussi passablement plainte du chauffage (à raison...) Mais a refusé mon aide le soir d'hiver où j'ai proposé de lui purger ses radiateurs. Ne donne pourtant pas l'impression de vouloir déménager. La tentation a parfois existé de l'inviter à prendre un verre sur la terrasse; mais l'impulsion a fait long feu. On en reste au vouvoiement.

Les voisins de tout en bas: un couple d'ex-Yougoslavie. Elle, petite, de longs cheveux. Portait anciennement des lunettes démodées, à monture dorée. Aussi, des talons aiguilles. L'ai parfois croisée à l'épicerie, achetant prestement des quantités de bière ou de vin. Accent croate, ou bosniaque. Lui: accent vaudois. Opéré d'une jambe voici quelques années, ne marchait plus qu'avec difficulté. Semble s'en être bien remis. Plutôt gentils. Ont un jour planté un lilas dans la plate-bande, laissée en friche par la conciergerie. Ce lilas prospère, de même que les plantes sur leur balcon, très fourni, avec de puissants géraniums.

Madame J. a dépassé huitante ans. On ne se croise guère que le samedi ou le dimanche matin. Se fait livrer ses repas depuis quelques années. Un jour, un type lui a volé son plateau repas, déposé sur son paillasson; puis, s'est vanté auprès d'elle de ce larcin. Ces livraisons régulières lui donnent un cadre, un tempo à ses journées. Sans quoi, son rythme circadien se décale vers la nuit, les programmes TV de pas d'heure. Je l'imagine, alternant phases de veille et ronflements sous un plaid, alors que réalité et fiction s'engluent dans une mélasse qui prend la couleur indéfinie des rideaux du salon; ensuite un mauvais sommeil. Et la dame du CSR la retrouve totalement ensuquée, en fin de matinée. Son audition semble meilleure. Peut-être un nouvel appareil, plus discret?

Sa voisine de palier, énergique, pipelette à l'occasion (surtout pour critiquer la régie). M'annonce un jour de but en blanc qu'elle est tombée au chômage (ceci à passé soixante ans). Je l'aide à refaire son CV, le poster sur JobUP, créer un profil LinkedIn. Ouvrière en imprimerie, sans diplômes... c'est assez mal barré. Elle m'invite chez elle pour opérer sur son propre ordinateur (dont elle donne tous les mots de passe), m'offre un café. C'était il y a plus d'une année. On n'est pas passé au tutoiement, mais c'est plutôt de mon fait, je suppose...

Le vendeur de l'épicerie: un Kurde, trapu, parfois soucieux. L'ai soupçonné au début de ne pas tiper tous mes achats. Apparemment à tort. Fait un bon tandem avec le patron, dont la femme n'a plus besoin de venir, le soir, quand des clients un peu louches se meuvent à l'occasion sous les néons du magasin. Le clochard à longs cheveux qui squattait une chaise dans un coin, ne vient plus. Mais le fils, parfois, est derrière la caisse. Le patron fait assez systématiquement la fermeture.

Les jeunes du rez: ont repris le petit appartement sous ma chambre. L'odeur de leurs cigarettes s'introduit parfois par la porte-fenêtre, quand ils profitent du crépuscule sur leur balcon. Plutôt aimables. On sait quand ils sont allés et venus (et surtout quand ils ont pris l'ascenseur) au puissant sillage exagérément parfumé qu'ils laissent derrière eux. Je les imagine commerciaux, genre force de vente ou conseil client dans une agence Salt.

Le type d'en face, chauve, petit, soixantaine basanée. Sort régulièrement fumer sur son balcon. On s'observe de loin, moi à la fenêtre, tous deux soufflant de la fumée. L'ai croisé une fois ou deux à l'épicerie. Une fois aussi, cet été, rue Haldimand (mais j'ai fait semblant de ne pas le voir). Le soupçonne d'être gay... suis prêt à parier que je connais son profil. Apparaît parfois avec un autre homme sur le balcon. La lumière est éteinte très tôt, avant 22 heures. Il ne dort peut-être pas là. 

La sorcière d'en face, qui nettoyait le trottoir à grande eau, pendant un temps interminable, avec son jet de jardin, a disparu. Je vois parfois son mari, parfois son fils, avec qui cette activité de nettoyage était partagée. Elle, avec ses longs cheveux gris, ses sabots de jardin, ne se montre plus. Malade? Accidentée? Morte? Tout est possible. En tout cas leur facture d'eau doit s'en trouver allégée.

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