Le poison


Il reste bien sûr le souvenir marquant du gobelet doseur de cuisine dont la surface a fondu en l'espace de quelques secondes, le temps de transvaser le liquide d'un flacon à l'autre. Le plastique transparent en un instant opacifié, blanchâtre, la surface devenue grêle. Et la question: comment nos corps se débrouillent-ils une fois ce toxique ingéré? On se rappelle les nuits d'après, leurs rêves épuisants; les amygdales enflées; les vomissements; les traits marqués, les yeux carrés, injectés de sang au petit matin...
Zurich, samedi soir. Trois heures à arpenter les salles du Volkshaus sans parvenir à trouver nos marques, sur fond martelé de musique mainstream. Un taxi nous emmène prématurément au Laby quasiment vide, la Black ayant vampirisé la clientèle - qui finira par envahir les lieux à partir de 5 heures du matin. Dans la masse de peaux mouvante qui enfle jusqu'à ne faire qu'un seul corps, la résolution fermement prise quelques semaines auparavant ne tient plus très longtemps: la petite ampoule passe de la poche au verre de Coca. Le temps que "ça monte", et voilà que se reproduisent les effets délicieux et bien connus: une énergie pure envahit le corps et l'esprit. Une frénésie. S'instaure avec les personnes alentour une connivence, un contact qui ne se crée pas sans cela. Je vérifie une nouvelle fois que ce poison est totalement complémentaire des pastilles. Outre leur pouvoir lévitant, ces dernières déploient les antennes de la communication, décuplent la sensualité, le sens tactile, donnent un détachement agréable par rapport aux choses, aux situations; l'autre produit catalyse ces facultés, fait circuler l'énergie en l'orientant clairement vers la sexualité. Il faut bien reconnaître que renoncer à ce cocktail, c'est hélas se priver de la moitié du plaisir que procurent ces soirées.

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