Folklore fribourgeois


Réveil potron-minet, 6 heures et des poussières, encore le sac à faire. Il faut être fou, je me dis en préparant des tartines et du thé, un oeuf à la coque. Déjeuner morose, sans journal. Plus tard, embrouille à la gare: le type du guichet essaie de nous faire passer par Neuchâtel. Il faut lui tenir tête pour obtenir nos billets à prix cassé pour Fribourg. Le train se remplit de coureurs, certains déjà en tenue, avec le dossard épinglé. Des prévoyants. Passé le tunnel de Chexbres, le paysage verdoyant de l'arrière-pays se réveille dans la rosée. A Palézieux, un type monte et demande des cigarettes à tout le wagon. Pauvre gars! Cohue en gare de Fribourg où nous attend le train spécial pour Morat, vite bondé. Il faut se farcir les sempiternelles conversations des coureurs (quelles courses, quels temps, quelles chaussures, blablabla) durant le trajet à travers une campagne magnifique de prés, d'arbres altiers. Arrêt prolongé à Courtepin, la ventilation s'arrête, les vitres se couvrent bientôt de buée... On repart juste avant que l'impatience gagne. Enfin Morat, assailli par la horde en lycra. Des hauts-parleurs vocifèrent, le Poulet doit aller aux WC d'urgence, pour la troisième fois. Puis, comme je me suis planté à l'inscription en ligne, il faut encore trouver le guichet des changements de bloc, au fond d'une salle de gym. Voilà. Le soleil tape déjà. On se masse dans la grand-rue au son d'une guggenmusik qui exécute On s'est aimé comme on se quitte, de Joe Dassin, sur un rythme frénétique. Premier coup de feu, applaudissements, on avance, c'est bientôt notre tour, encore un pétard et c'est parti. Cinq ans que je ne suis pas revenu là... J'essaie de me rappeler des détails du parcours... Tout de suite la première montée vient rafraîchir ma mémoire. Une fille en bleu ciel court les yeux fermés, on se retourne sur elle, qui dodeline de la tête, au rythme de son iPod; en transes... A droite, à gauche, des spectateurs enthousiastes, qui agitent des toupins, des clarines, soufflent dans des trompes, interpellent les régionaux de l'étape. Des enfants agitent des crécelles, comme au Grand-Prix de Berne. Ah! le joli folklore. Le soleil tape un peu plus fort. Un type nous dépasse, collants, manches, des petits gants: vêtu comme pour courir par zéro degré. Finira-t-il? On dépasse un coureur de 100 kilos, un géant dont les pas lourds font quasiment trembler la route. Dans les villages, je lis les toponymes amusants, typiques de la frontière des langues: Schabelrain (j'imagine qu'il doit s'agir d'un Châble...), Zanille, et plus loin Wallenried, Cormérod... Des noms qui fleurent la campagne et la vache, dont l'odeur tiède traîne ici et là.
Cette course est habituellement associée la fraîcheur automnale; voire à des brumes, sinon à de méchantes pluies glaçantes. Or ce dimanche, on sue sous la cagnasse. Je me bénis d'avoir, au dernier moment, ressorti ma casquette, juste avant de jeter mon sac dans le camion. Sinon j'aurais sûrement dû abandonner – ou j'aurais fait une insolation... Voici l'atroce Courtepin, ses silos, sa foule. Le portique orange de la mi-parcours. Je pisse vite dans le fossé à la combe de
Pensier; le Poulet me distance, je le rattrape juste avant la montée de la Sonnaz, sonorisée par un DJ. Haie de spectateurs hystériques, parmi lesquels un type baille à notre passage. On croche, et voici le haut de la côté. Mais le plus dur n'est pas fait pour autant: reste l'abject faux plat de Lavapesson et, après le pont sur l'autoroute, le vilain faubourg de Granges-Paccot: halles industrielles ou d'exposition, stations-services, hôtels pour représentants, de part et d'autre d'un ruban rectiligne de bitume bouillant. La furie sonore de la Sonnaz est derrière: ici, c'est le silence dominical. Quelques spectateurs mutiques regardent le troupeau distendu s'égrener. Le soleil est devenu mon ennemi. Je rêve d'un ravitaillement qui ne viendra plus. Enfin, voici le pont du chemin de fer, l'entrée dans Fribourg. Derrière nous, l'avertisseur sinistre d'une ambulance, de plus en plus proche: on se range de côté, elle passe. Je me colle sur la gauche de la rue, à l'ombre protectrice des bâtiments patrimoniaux, sinistres et noircis. Revoici la foule, la cathédrale, le dernier virage, l'ultime côte où le public encourage, gesticule, appuyé aux barrières vauban. Enfin la place, le noir portique d'arrivée, le gamin avec son machin électronique qui désactive la puce du dossard.
Ouf, c'est fait.

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