Continuité

On se moque gentiment de moi. De l'énergie que j'emploie à ressusciter les objets, à les maintenir en vie. Le vieux frigo de PY (1958) qui ronronne dans ma cuisine? Il fonctionne parfaitement. Je le dégivre tous les 40 jours. Ma conscience écolo est sauve: à la Bonne combine, ils m'ont assuré qu'il ne consommait guère plus d'énergie qu'un frigo actuel, grâce à l'épaisseur de son isolation. Pascal l'a repeint il y a deux ans. Il a de la gueule, je trouve. Sur ce frigo, le poste de radio Philips à tubes (1961), que Domi m'avait offert un jour en flânant à la brocante de la Riponne. Capte parfaitement la FM. Et même, j'y raccorde mon PC, je le mets en mode "pick-up" et toute la musique d'iTunes se déverse dans ma cuisine. Le son est rond et chaud, discret. C'est un compagnon agréable.
Et puis j'utilise les casseroles héritées de ma mère. La cocotte pression de ma grand mère; son sucrier. Un jour, je l'ai fait tomber. Il s'est cassé, cela m'a attristé. Je l'ai recollé. Il a retrouvé sa fonction. Par ailleurs, avec l'avènement récent de la TNT, j'ai raccordé mon téléviseur à une antenne TV antédiluvienne, récupérée voici plus de dix ans dans le chantier de transformation de la maison de mon enfance, où mes parents l'avaient fait installer. Le recyclage inattendu de cette ferraille, qui a trouvé sa place dans la poussière du galetas, me vaut la réception gratuite d'une vingtaine de chaînes, dont quatre en haute définition... D'ailleurs, j'ai résilié mon abonnement au câble.
Même si je suis capable de jeter ce qui n'a plus cours, parfois par sacs entiers, je me suis entouré d'une sélection de choses et d'objets qui créent un lien thérapeutique avec mon passé. Ces choses m'ancrent. Me relient à des racines perdues et longtemps idéalisées. J'admets que l'énergie (parfois déraisonnable) mise à rassembler et maintenir ces objets sont le signe d'un déni du passage du temps. Le fait est que leur présence, leur orbite autour de moi montrent que j'ai, d'une certaine manière, triomphé des changements que le temps ou qu'autrui m'ont imposé et dont je ne voulais pas. Cette constellation d'objets est une une manière de proclamer que rien ne change. Car ils fonctionnent. Continuent de fonctionner. Je sais bien que c'est faux. Mais c'est  ma façon de manifester une obstination, une opiniâtreté. On peut la trouver déplacée. N'empêche. 
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