La peau et les os

La vision change, selon que je te regarde de très près ou d'un peu plus loin. Parfois, tu me sembles un vieillard; d'autres fois, paupières closes, un homme jeune. Tu redeviens toi-même. Comme si j'étais avec plusieurs personnes, alors que nous ne sommes que les deux. Comme si j'étais avec plusieurs toi-même, à différents âges de la vie. Etrange...
J'avais presque oublié ce que c'est, de se laisser aller, simplement. Ne pas penser. Essayer de ne vivre ni au passé, ni au futur. Ni au conditionnel. Surtout pas au conditionnel. D'être juste à l'instant. J'y suis parvenu, brièvement. C'était parfois spontané, mais aussi, parfois, un ordre intime, que je me donnais. Ne pas penser. Etre à l'instant. J'ai ressenti ces courts moments d'échange: ce qui passe d'un corps à l'autre quand ce n'est pas la pensée, le langage qui opèrent. Juste les gestes, et même: pas forcément. Juste l'échange. Merci d'être venu.
N'était ton sac à dos, tu as voyagé léger. Soixante-quatre kilos, ce n'est pas très raisonnable pour un homme de plus d'un mètre quatre-vingts. Surtout quand le temps se refroidit, comme ça, brusquement. Mais toi, tu n'as pas eu prise sur cette question de poids, quand une partie de ton corps t'a quitté. Et moi, ici, je n'ai pas prise sur le chauffage central. Il a fallu faire avec les radiateurs tièdes. Tu t'es enroulé dans des couettes. La seconde nuit, je n'ai pas ouvert la fenêtre.
Ta voix, sourde, prononçait des phrases que mon oreille captait mal. Comme souvent, j'interprète davantage que je n'écoute réellement. Je me fais mon monde. Tu te crées le tien. Pas grave. Peut-être que je ne veux rien savoir de toi. Que tu restes un mystère. Un silence. Quelqu'un que je ne connais pas, dont je peux tout attendre.
J'espère que nous aurons l'occasion de continuer ce petit voyage sur tapis volant. Cool et dépravé, on peut dire ça, oui. Reviens quand tu veux. On ne parlera pas trop. J'achèterai un radiateur d'appoint.

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