Prins Hendrikkade


Dimanche soir. On termine une partie de dominos. A travers le hublot, une lumière bleutée: la nuit va bientôt tomber. Je monte seul prendre l'air sur le pont. La brume nous enveloppera bientôt. Le Sea Palace brille et se reflète dans l'eau du bassin que ride un bateau des Canal cruise en train de virer. En face, les lumières innombrables de la bibliothèque; les grues du chantier voisin, dont les flèches se perdent vers les nuages. Un long train jaune et bleu quitte lentement la gare. Je me retourne. La toiture au plan incliné du musée Nemo se confond avec une lumière verdâtre et laiteuse.
Il faut dire adieu au bateau. 
La tristesse m'envahit subitement. Tristesse de ne plus jamais revenir là où nous avons partagé de si bons moments. Tristesse de tourner une jolie page. Tristesse de ne plus entendre la voix de Marcel qui nous dit, imitant l'accent français: "Carefull, hein?" Il faut que je me reprenne. Redescendre dans la pièce où Fred et Pascal s'occupent du repas.
Fred a besoin de mouvement. Prendre la voiture et conduire. Voir autre chose. N'importe quoi d'autre, peut-être. Samedi, on roule dans un polder, vers Almere, puis Lelystad. Une route en digue, l'horizon infini, empêtré de brume. Des bateaux croisent sur la mer intérieure couleur lait de chaux. A notre droite, des éoliennes tournent lentement dans une campagne stérile. Un paysage sans signification, qui ressemble probablement à cette tristesse qu'il tient en respect. Un paysage qui ressemble au silence qu'il évoque; au vide sidéral, dans lequel le laisse le départ de Marcel. On prend une collation dans un restaurant plein de lumière douce, entouré d'étangs. Le soleil se montre un moment. Puis la route du retour, droite comme un i, avant l'autoroute et la succession d'échangeurs et de tunnels qu'il faut franchir pour mériter le centre d'Amsterdam. 
Samedi soir, apéritif puis souper avec Agustì, qui nous amène un peu de légèreté. Frustration de se retrouver dans cette ambiance de fête à laquelle nous ne participons pas. En quittant le restaurant, passage dans un coffee shop où nous achetons un joint d'herbe, à partager en cheminant. En arrivant sur la place de la gare, la foule, les lumières m'étourdissent subitement, au moment de quitter notre ami. Je ne nous imagine pas du tout rentrer, nous cloîtrer dans le bateau plein d'absence. Alors on fait un tour dans Warmoestraat. Les lumières rouges, la foule, les bruits, un ou deux fous rires nous requinquent.
Dans la nuit, on passe à l'heure d'hiver.

Lire aussi
Adieux 

Articles les plus consultés