L'odeur du chlore


Le soleil sur la peau, tout l'après-midi. Rentrer, avec l'odeur du chlore, avec la fatigue de plongeons cent fois répétés. Peut-être jouer, encore, après souper, jusqu'à nuit tombée, dans le jardin, sur les balançoires, sous les lignes à haute tension, avec des enfants du quartier. Le bassin dominé par des montagnes rondes et vertes, tapissées de vignes. Les parasols de la cafétéria, ses troupeaux d'adolescents  autour d'un juke-box qui repasse pour la millième fois La maladie d'amour de Michel Sardou; tant et si bien que la rivière insolente finit par se confondre avec les reflets de vif argent qui zèbrent la surface mouvante du bassin plein de cris derrière une rangée d'épines-vinettes. Au fond, par delà la clôture de treillis, des barres d'immeubles flambent dans la chaleur de la plaine, entre des rangées de peupliers choisis par des architectes ou des urbanistes qui nous voyaient un avenir de cosmonautes. Longues minutes de file, maillots de bains, bikinis bariolés, le nylon tendu sur des peaux juvéniles, mates, brunes, duveteuses même, avec les gouttes d'eau qui tombent et sèchent aussitôt sur les mollets, sur le sol de ciment chaud. On s'achète des glaces, ou bien des confiseries qu'une gorgone vend, à longueur d'après-midi, derrière son guichet. Vacances à Nyon: la piscine au bord du lac, l'odeur du lait solaire Sherpa Tensing (standard) qui se répand en fin de journée dans la Renault 12 bouillante, restée trop longtemps au soleil. Tout à l'heure on ira faire le "parcours Vita" dans la forêt. Dans la cuisine, la table sous la cage du couple de canaris (le mâle est borgne). Une bouteille d'eau d'Evian, dont j'ai à moitié rongé la capsule. Comme la porte du vieux frigo ferme mal, la tante Renée entoure l'appareil d'une chambre à air de vélo entre les heures des repas. La cage d'escalier jaune résonne, les panneaux de fibre de verre ondulée en guise de garde-corps; la petite musique des noms sur les sonnettes, relus chaque fois, inlassablement. A Penthalaz, margelles ocres, bassin bleu roi, plongeoir triangulaire, jaune, je m'agrippe à une boulée gonflable garnie d'un cordage. Mme Stalder tient le guichet des confiseries. Mon père m'achète un pain de poire. A Montreux, des mercredis après-midi entiers à la piscine du Casino, pendant que Pap fume en scrutant, sur les pelouses,ces jeunes femmes adeptes du topless, qui se couchent parfois sur le dos. A Vevey, 19 ans. Descendre en voiture jusqu'au Jardin Doret. Assis sur une marche immergée de l'escalier menant au lac: les mousses qui la tapissent tachent irrémédiablement un slip de bain couleur crème de la marque Lahco. Après une nuit de route, je m'y endors sous un arbre, en fin de matinée. En revenant à moi, un blanc énorme: quelle heure est-il? quel jour? où suis-je? Tout me revient, la vague d'angoisse reflue. Rentré chez moi, j'appelle ma mère. On se parle gaiment au téléphone.
Chaque soir on quitte la plage quand les fumées des barbecues se mettent à ramper sur la pelouse. Pédaler le long de l'avenue de Rhodanie, le long des vestiaires de Bellerive bordés de plantes fatiguées, viornes, laurelles, thuyas décharnés, érables, houx, je crois qu'elles s'ennuyaient déjà là lorsque nous avancions par à coups, ces après-midi de départ en vacances, dans la 404 qui puait le simili cuir surchauffé et la fumée du cigare. Après, la voûte claire obscure des grands platanes précédant Ouchy. La peau sent le lait solaire. On rentre souper.

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