Diva

Déjà, ce week-end à Berlin était un voyage compensatoire, organisé sur le coup d'un réflexe anti frustration. La référence de mon billet électronique correspondait initialement à un vol vers Bordeaux. Lequel fût ensuite converti – moyennant les suppléments facturés en pareil cas, et l'ajustement (à la hausse...) du prix du billet – en un aller-retour Genève-Berlin.
Le billet vers Bordeaux (au coût très raisonnable) avait été acheté sur un coup de tête, à l'issue d'un chat avec un jeune local. Mais peu de temps après avoir accompli ce geste compulsif, des doutes se sont insinués, à l'occasion de nouveaux échanges avec ce garçon. Suffisamment pour m'amener à renoncer à ce voyage. A peine le Bordelais informé de ce volte-face, j'interroge un Berlinois (avec qui je chatte depuis plusieurs années) sur ses disponibilités pour ce même dernier week-end de novembre, en lui disant que je pourrais le voir à ce moment-là. Encore quelque clics, un numéro de carte de crédit, et voilà mon voyage vers Berlin réservé. Ce Rüdiger me communique le nom d'un hôtel bon marché près de chez lui. Je consulte le site. L'établissement me paraît tout à fait correct. Moderne et propre. Mais sans raison véritable, je décide de réserver plus tard. De prendre un peu de temps pour consulter Booking.com, voir si d'autres adresses ne seraient pas préférables. Tant et si bien que la semaine dernière, en retournant sur le site de l'hôtel pour opérer la réservation, je découvre que l'établissement est complet. Et par une bannière, Booking.com m'avertit que "Berlin est très demandée" ce week-end. Je me rabats sur une autre auberge de Schöneberg, beaucoup moins moderne – carrément vieillotte, disons les choses – où il reste encore des chambres. Je réserve, sans conviction. 
Et voilà que plus la perspective de ce week-end se précise, moins j'ai envie de partir. Non que j'aie des doutes sur le le plaisir que j'aurais pu trouver au contact de Rüdiger. Mais les à côté de ce voyage me pèsent d'avance: les salles d'embarquement et leurs files; l'arrivée à l'hôtel; la nuit dans une chambre étrangère, jamais reposante. Et surtout, le dimanche, le check-out à onze heures trente, et le temps à meubler, sans résidence, dans une ville déjà hivernale, jusqu'au moment de retourner dans ce terrible aéroport de Schönefeld...
La perspective du voyage paraissait plus plaisante et légère au moment de la réservation. Elle était lointaine. C'était encore la belle saison. Et je ne voyais de ce week-end que le but, le jeu sexuel, la jouissance. Les œillères du désir, qui dissimulaient momentanément toute l'infrastructure d'une telle escapade, ont fini par tomber ce début de semaine. J'ai commencé à percevoir la réalité de ce déplacement. Sa part d'aléas. Mon confort quotidien m'a dès lors semblé de jour en jour plus aimable, alors même que les journées au travail s'allongent, avec leur lot de stress, leur dizaines de micro-devoirs, de post-it pleins de détails à ne pas oublier, comme chaque année à pareille époque. Toute la semaine, cette décision à prendre (partir? rester et me reposer?) m'a pollué l'esprit... Non: en réalité, la décision était déjà prise. Il s'agissait juste de l'annoncer à mon hôte. J'ai repoussé ce geste, le plus tard possible, pour me laisser l'illusion du choix longuement réfléchi. J'ai attendu hier après-midi pour lui écrire, alors que le délai contractuel pour révoquer la réservation d'hôtel était passé, la transaction portée en compte.
Voilà comment mon impulsivité et mon indécision me font jeter l'argent par les fenêtres. Mais pour moi qui ai eu la chance de n'en jamais manquer, l'argent a toujours paru symbolique, virtuel; irréel, d'une certaine façon.
Money comes, money goes: you'll never be rich, a dit un jour un chiromancien indien à une amie. Je suppose que mes paumes doivent montrer à peu près les mêmes dispositions.

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