Plans for Nigel

Je disais donc: devant, un long bout de route, bien droite, qui laisse apercevoir la prochaine étape au lointain (encore que le lointain soit un concept extrêmement variable, en fonction de facteurs comme la vitesse de déplacement ou la transparence de l'air...) Le but est parfois plus proche qu'on imagine. Bref. Les courbes sont passées. Le temps où l'on naviguait sans carte ni GPS, où l'on ignorait à quoi ressemblerait le paysage après le prochain virage, la colline que l'on gravissait.
C'était le temps des surprises permanentes. De la pensée magique. De l'advienne que pourra. Des agissements irréfléchis. De la bonne étoile en guise de carte de crédit. Mais à force de piocher dans le cornet à surprises, les doigts finissent par en rencontrer le fond.
Pour changer de métaphore, les cartes sont aujourd'hui toutes distribuées, il ne reste de talon nulle part. Je regarde mon éventail, il va falloir faire avec ce jeu-là, le plus adroitement possible. Prévoir quelques coups d'avance, anticiper la fin de partie. Ne pas trop y perdre. Le cas échéant, n'être pas trop mauvais perdant non plus.

Un soir, à l'âge de quinze ou seize ans, j'avais acheté pour deux francs un 45 tours du groupe anglais XTC dans un bar qui bradait les disques ayant terminé leur carrière dans le juke-box. C'était Making plans for Nigel, mais j'avais aussi écouté la face B, Life begins at the hop. Le Harrap's m'avait fourni la traduction de ce titre: La vie commence à cloche-pied. Ce propos m'avait immédiatement paru assez pertinent, et aujourd'hui encore, je trouve que ce titre me correspondait bien. Faute d'avoir a) daigné ou b) pu suivre les chemins ordinaires, j'ai inventé le mien, qui s'est avéré au final une sorte de raccourci magique. Bien joué! Même si, comme certains clandestins, j'ai souvent eu la hantise qu'on me démasque; que l'on me demande mes papiers. Ce sentiment d'être une sorte d'usurpateur m'a heureusement quitté, je crois.

J'ai livré des combats stupides. Je me suis fixé des objectifs risibles. Dérisoires. J'ai été piégé par des centaines de miroirs aux alouettes. Je comprends cela maintenant, même si je ne sais pas comment réorienter mes efforts. Peut-être ne faut-il rien faire du tout. Juste attendre, attendre de mieux comprendre. Certainement.

Dans les plies ramassées, je peux quand même compter quelques points. Quelques atouts. Comme: la compréhension de quelques fondamentaux (le monde ne m'attend pas; la médiocrité est mon élément naturel – et non l'antichambre d'un état supérieur, comme je l'ai longtemps cru; la perfection m'est totalement étrangère. Je ne serai jamais le meilleur en rien – à part, peut-être, le meilleur ami de certains. Je suis vite content de moi; je ne suis un modèle en rien et ne le serai certainement jamais). Ces cartes-là sous le coude, la défaite ne sera pas si terrible. Je ne ferai sûrement pas la suite du chemin à cloche-pied.

Lire éventuellement:
Harder, Better, Faster, Stronger

Articles les plus consultés