A pied au Far West (II)

Ces routes que l'on suit souvent; ces paysages qui servent de décor et finissent par devenir tellement banals qu'on ne les voit quasiment plus. Il suffit pourtant de s'en écarter à peine pour que tout devienne méconnaissable. Pour que la promenade la plus ordinaire se transforme en découverte. Dimanche par exemple: un après-midi magnifique, sous une lumière d'automne dorée. On part à pied, avec l'idée de se diriger vers le château de Renens. On commence la balade par le chemin de Renens, justement. Très vite, le décor change, comme on s'approche de la demeure de Valency. Perspective majestueuse de l'allée menant vers cette gentilhommière, qui a probablement dû être séparée d'un énorme terrain. Celui où ont été construits, dans les années cinquante, ces petits immeubles locatifs de trois étages, qui l'entourent maintenant. Ce détour nous ramène dans le creux du Galicien, ancien ruisseau enfoui. Le viaduc ferroviaire, que l'on ne fait toujours que longer, apparaît ici dans une perspective inédite, ses arches se découpant dans une relative distance, à contre-jour. De là, on remonte, par une pente assez marquée, vers le site des anciennes usines Bobst – en empruntant ce qui ressemble à la réservation de terrain d'une route à grand trafic qui n'aurait jamais été réalisée. On s'en sert comme d'un grand parking en pente. A droite, des barres d'immeubles ingrates, une ou deux tours d'habitation émergeant de la végétation. Au fond, sur la gauche, les rutilants immeubles neufs de l'entreprise Sicpa scintillent dans la lumière d'octobre. Et derrière des haies, des barrières, la tranchée énorme de la friche industrielle, blanche comme une carrière de craie. Que va-t-on bien faire là, dans cette balafre? Il faudrait se renseigner. Traversons maintenant le quartier de Florissant, escorté pour un moment par un petit chat noir tout maigre. Et tout à coup, dans cet univers de banlieue, paraît la silhouette d'une vieille ferme, aujourd'hui reconvertie en immeuble de bureaux, vaguement guindé. A côté, un manoir, dans son parc, domine des immeubles dont je connais la silhouette par cœur, puisque je les longe à chaque fois que je m'entraîne. Cet arrière plan, si différent de la grand-route familière, est un grand étonnement. Nous voici dans le cœur de Renens: un parc, caché sous les feuilles jaunes et rousses, et une fontaine qui coule d'abondance. Quelques adolescents bavardent sur un banc. Et, juste au-dessous, le fameux château, avec ses volets bleus, bien gardé par une rangée de platanes qui tendent au ciel des moignons hérissés. Juste en contrebas encore, une touchante rangée de maisons, bien serrées les unes contre les autres le long d'une rue qui suit la courbe de la colline. Une pause, avant de redescendre et de longer le grand chantier des anciennes usines Fly. Il faut monter maintenant, en suivant une rue rectiligne. Elle longe le bâtiment bigarré de l'ECAL sur son flanc est. On est dans une zone tantôt pavillonnaire, tantôt villageoise avec quelques façades curieuses, hautes et vaguement sévères. Puis, une série d'immeubles de petit gabarit, du début des années soixante, récemment repeints de teintes acidulées. Le soleil baisse, les couleurs des façades se font plus contrastées. On poursuit et tout à coup, à un carrefour, je réalise que nous arrivons rue de l'Industrie: la voie qui franchit la Mèbre juste avant son voûtage, et où je passe en courant chaque semaine, dans le sens de la descente. Ici débute le territoire de Crissier. En traversant la rue des Alpes, on redescend sur le flanc ouest du terrain, pour enfin rejoindre le quartier de Pré-Fontaine. Une urbanisation d'assez grande ampleur, vieille d'une quinzaine d'années, et où je n'ai jamais mis les pieds. Des groupes de petits immeubles de trois étages, garnis de nombreux balcons et recouverts de tavillons de couleur rose et blanche. On y accède par de petites allées piétonnières, plantées de frênes. On débouche sur une place piétonnière, où sont les commerces du quartier. Une pizzeria fermée, un coiffeur. Et bien sûr, la fontaine – tarie – qui donne son nom au lieu. On marque une nouvelle pause sur l'un des bancs, en regardant trois grandes cheminées: tout en assurant la ventilation du tunnel de Marcolet, qui passe sous nos pieds, elles ont probablement été conçues pour servir de repère visuel...
Il faut maintenant rebrousser chemin. On trouve un chemin qui remonte vers la rue des Alpes en passant par derrière les immeubles bordant le lotissement à l'est. Sous le soleil déjà déclinant, on suit cette rue de caractère hérétoclite jusqu'au carrefour du Quatorze-Avril, le long d'une improbable série de vitrines de second plan, d'immeubles de toutes tailles, décatis ou en construction. On longe le flanc poussiéreux de l'ancien cinéma Lumen, qui n'est pas sans charme. Passé le carrefour, nous voici à Renens. La rue change de nom, se fait plus urbaine, jusqu'au carrefour qui borde la voie ferrée, désormais soustraite aux regards par les palissades du chantier de rénovation de la gare. Les marquises des quais, en fer riveté et à la forme si typique, sont bientôt démolies. On prend une bière dans un bar étrange, plein de couleurs, où quelques clients sirotent leurs boissons dans une certaine indolence. A travers les baies vitrées, le soleil glisse des barres obliques qui font étinceler les alignements de bouteilles, derrière le comptoir. Ensuite, rapide inspection de la place du Marché, que la commune vient d'aménager et qui suscite quelques critiques ("trop minérale", pour certains...) Le long de la rue de Lausanne (que je n'ai jamais suivie autrement qu'en voiture ou en bus), on a le loisir d'admirer quelques devantures cocasses. Chaussures bon marché, solarium self-service, salons de coiffure... On emprunte la rue Neuve, plongée dans le calme et la pénombre, déjà; sauf là-bas où, entre deux immeubles, les feuilles d'un catalpa luisent en captant un dernier rayon de soleil, créant un camaïeu avec le fond vert d'un bâtiment.
Pour rejoindre l'arrêt de bus, on longe enfin quelques petits bâtiments d'habitation. Des maisons familiales, entourées de modestes jardins sous des feuillages jaunes et rouges. D'anciens logements ouvriers, de contremaîtres peut-être, qui rappellent le passé industriel des lieux. La salle de spectacles, dans son style années cinquante, reflète la lumière grandiose qui magnifie ce carrefour ingrat. On traverse la route. Le bus ne va pas tarder.

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