Quidam

Un soir de semaine. Je sors de chez Pascal aux alentours de vingt-deux heures trente. Je rentre chez moi. Dans le ciel auquel les lumières de la ville donnent des reflets violacés, traînent quelques bancs de nuages, au-dessus du gros bâtiment gris du Pré-du-Marché. L'air, un peu humide, s'est rafraîchi. Les voitures pressées remontent l'avenue de Beaulieu. Quelques fenêtres allumées dans les chambres de l'hôtel Ibis, dans les bâtiments de l'avenue. Les vitrines de la pizzeria sont éclairées, quelques personnes encore attablées. La lune brille, derrière d'autres nuages, au-dessus du lac. Et plus bas, les lampadaires orangés du carrefour de Chauderon.
Je trouve que j'ai beaucoup de chance, d'être là, de respirer cette fraîcheur, de marcher dans la rue, à cette heure. De n'avoir de compte à rendre à personne, au fond. Je ressens un grand soulagement, d'être devenu cet inconnu, ce type, un passant sans histoire, un peu dégarni, qui rentre chez lui, tranquille, en fin de soirée, à l'heure où les gens se brossent les dents.

Longtemps, j'ai rêvé ma vie. Rien n'était vraiment formulé, mais je croyais pressentir un grand dessein. On allait voir ce qu'on allait voir, ce serait la gloire! Les minables qui m'avaient un jour sous-estimé en resteraient comme deux ronds de flan. Mais ça ne se produira pas, bien sûr. On pourrait croire que ces rêveries étaient vaines. Pas complétement, car elles me faisaient avancer. Elle me donnaient confiance en moi-même. Mais je pense que je n'ai plus besoin de ces béquilles. J'ai compris qui j'étais: un type, parmi une multitude. Avec ses particularités. Mais des particularités, chacun en a. Je n'ai pas grand chose de spécial. Je ne fais pas grand chose de spécial non plus. Ça va très bien comme ça.

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