Liste de présence (4)

Côté ouest Voici quelques mois, le couple de trentenaires sans enfant (lui assez sexy) qui a occupé le duplex du haut de l'immeuble voisin a déménagé. J'ai regretté ce départ, car ils étaient très intéressants à observer. Des sportifs. Très souvent, leurs vêtements de sport séchaient sur le balcon. Durant le semi-confinement du printemps dernier, il pédalait inlassablement sur un vélo de course monté sur une structure idoine, sur la terrasse du haut. Un couple assez mystérieux dans ses activités, aussi. Impossible d'en déterminer la nature. Ils étaient absents pour de longues périodes, durant lesquelles ils prêtaient leur logement, à des amis, à des parents. Un autre jeune couple s'est installé là, parents d'une petite fille d'environ trois ans. Leur mobilier, de ce que j'en vois, paraît fonctionnel et sans attrait. L'éclairage, pas vraiment chaleureux... Quand ils sortent sur leurs balcons, ils n'ont pas un regard pour le voisinage. La semaine dernière, quand le froid persistant à retenu la neige quelques jours durant sur la terrasse du haut, le père a joué un long moment avec sa fille, dans l'après-midi, alors que ce balcon, orienté nord-est, était déjà à l'ombre et qu'il devait y faire frisquet. Cette fillette découvre là le monde. Elle s'essayait à escalader un escabeau, appuyé au mur, près de la porte-fenêtre. Le père, plein de patience, tenait sa petite main alors qu'elle montait et descendait, remontait et redescendait. Et je me suis demandé si cette enfant conserverait des souvenirs de ce moment-là. Rien n'est moins sûr, surtout si cette famille ne reste pas longtemps dans ce logement qui ne peut accueillir plus de trois personnes. Certains soir, leurs fenêtres restent obscures. Cela se produit régulièrement le samedi. C'est certainement le soir des grands-parents...

Au cinquième Le jeune couple qui avait repris le petit appartement au-dessous de ma chambre à coucher s'est séparé. Je n'ai pas revu ce garçon depuis très longtemps; en revanche, je croise régulièrement la fille, au visage si peu marquant qu'il m'a fallu beaucoup de temps pour la reconnaître, lorsque je la croise. La voilà donc seule. Le départ de son ex compagnon ramène un peu de sobriété dans les odeurs de l'escalier. C'était bien lui, et lui seul qui se parfumait comme une cocotte, dispersant des fragrances capiteuses et rémanentes... Ce week-end, la fille a reçu: vendredi, elle a passé la soirée avec deux ou trois amies. Je les ai entendues rire et parler depuis la salle de bain, quand je me brossais les dents. Et hier soir, d'autres gens étaient avec elle, mais il y avait une voix d'homme, aussi. Ce n'était pas la même ambiance. En descendant l'escalier, j'ai vu, sur son paillasson, une paire de babouches roses tout à fait amusantes, qu'on ne s'attendrait pas à voir aux pieds d'une fille de son âge.

Au deuxième En passant dans l'escalier, à plusieurs reprises, on remarquait des poubelles, entreposées devant la porte du réduit des compteurs. Pas des poubelles réglementaires, non: plutôt des sacs en papier de magasin, des cornets Migros, emplis de divers déchets, bouteilles en PET, cartons et emballages en vrac. Ces sacs demeuraient là plusieurs jours. Récemment, ce dépôt (avec cette fois, un sac poubelle officiel) est resté figé là une bonne semaine. Je passais chaque jour devant. Et puis, ces déchets se sont mis à sentir. Quand cette puanteur a atteint notre palier, quatre étages plus haut, je me suis fâché. Je suis descendu au deuxième. J'ai sonné à la porte voisine du réduit, qui était autrefois celle de madame J. J'entendais le son d'un téléviseur. Personne n'a bronché. J'ai sonné une seconde fois. Toujours le téléviseur. Pas de réponse, aucun signe de mouvement à l'intérieur. Revenu chez moi, j'ai appelé la régie, je me suis plaint, sans donner d'autre précision que celle de l'étage. Après une brève conversation, le responsable a m'a demandé: "Mais, c'est chez monsieur V.?" "C'est bien possible, c'est à côté de cette porte-là". J'ai compris que je n'étais pas le seul à me plaindre de ces odeurs. Le soir même, les déchets avaient disparu.

Côté est Il y a une présence énigmatique dans l'appartement où a longtemps résidé une dame âgée, au-dessous de la pittoresque famille balkanique. Dans cet immeuble où les appartements doivent manquer de rangements et où les balcons servent volontiers de débarras, les siens étaient toujours propres, vides. Nets. Seuls les pigeons y allaient et venaient. Ses apparitions à elle y étaient de plus en plus rares. Une octogénaire plutôt grande, aux cheveux teints, aux sourcils arqués. Seul signe d'une présence humaine dans ce logement: la hauteur variable du store de la chambre à coucher, dont la fenêtre, parfois entre-baillée, laissait voir un grand lit. Les autres fenêtres protégeaient le mystère du logis fantomatique derrière leurs voilages grisâtres. La nuit, aucune lumière ne filtrait jamais. Mais depuis quelques temps, la vie a repris, parfois même tard le soir. La chose singulière, c'est que ces vieux rideaux n'ont pas bougé, ni le meuble de rangement au bout du balcon sur la rue. Je me suis demandé si l'appartement était squatté. Ce qui paraît probable, c'est qu'un petit-fils, un petit-neveu, que sais-je, vive là une vie discrète, à l'insu de la régie, installé dans les meubles de la vieille dame, qui a probablement dû s'en aller "en maison"...

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