Shaft

C'est dans une zone indéterminée, entre deux rues, un quartier chaotique, des immeubles aux affectations mutantes, aux formes anarchiques. C'est là. L'air est humide, frileux. On passe sous un porche. Des flaques d'eau. Quelqu'un crie au fond de l'allée, des silhouettes s'agitent dans l'obscurité au-dessous de galeries aux éclairages glauques qui relient deux immeubles.
Shaft. Le panneau est installé sous son spot. On tourne, l'entrée est éclairée, la porte ouverte. Personne dans l'escalier peint de couleurs vives. Deux étages. Toujours cette impression d'arriver dans un appartement. La décoration 70's. Les carrés lumineux de couleur aux murs noirs. Le vestiaire. Le bar. Le panneau No dick, no drink. Le coin lounge. La boule à facettes. Déjà beaucoup de garçons. Le dragon sculpté près des banquettes. A gauche, beaucoup de lumière dans le coin chill-out habituellement sombre, derrière les grilles en fer forgé. Et au fond, l'entrée de la piste.
Le plafond bas. L'air nébuleux brassé par des ventilateurs. La musique qui vibre et pulse. Ce sont des strates sonores dont le nombre et l'épaisseur varient souvent. Parfois le tissage est très dense et l'on peut déterminer avec précision de quelle couche émanent les impulsions qui commandent les mouvements.
Ca commence. Dino et Michele sont à droite. Déjà, Michele fait ses petits mouvements de prière. Pascal est un peu au fond. Il croise les mains en fléchissant les genoux, ferme les yeux en souriant. A gauche, Gion se met à osciller lentement. D'autres visages connus. Soudain, le rythme des balais jazz de la percussion déclenche de la frénésie. Mes bras se mettent à onduler rapidement, je frappe mes cuisses en cadence à chaque mouvement. A gauche, sur son podium, l'homme qui danse toujours nu, vêtu de seuls bas de femme (ils sont rouges, ce soir), a déjà son plug bien calé entre les fesses, pour son immuable ballet qui durera toute la nuit.
La soirée progresse, les substances infusent. Les Ours m'offrent de l'assome-chien, qui empèse temporairement mes mouvements - alors que j'aurais besoin de rapidité et de fluidité. Puis, le G nous fait léviter. Je recroque une moitié pour assurer à mes yeux ouverts les éblouissements nécessaires, et créer des images de synthèse magiques quand mes paupières se referment. La musique, plus binaire, a perdu en complexité. En chacun de nous, des portes sont maintenant ouvertes qui facilitent les échanges, permettent une lecture rapide des pensées, un décodage instantanné des intentions. Des sourires créent des connivences passagères.

Dehors, l'hiver reprend ses quartiers, mais là, nous sommes bien à l'abri derrière le mur du son.

Sur le coup de six heures la soirée mute. La clientèle de l'after fait son entrée. Filles vêtues comme des martiennes. Maquillages outranciers. Garçons à talons hauts. Temps de céder la place à d'autres peuplades. La rue est encore plongée dans la nuit qui s'achève.



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