Altona et retour (die Wiederholung)


Bien sûr, on peut comprendre sempiternel besoin de répéter les expériences agréables. Mieux vaudrait pourtant laisser à certains événements, à certaines rencontres leur caractère exceptionnel, unique, comme autant d'instants suspendus au fil du temps, et dont on peut se souvenir avec bonheur... Mais on en veut toujours davantage; on cherche à refaire – et mieux si possible... L'avion de Hambourg largue Kloten sous un ciel plombé; des pensées tournent dans ma tête, pareillement assombrie. Puis vient le moment où l'appareil perce le voile de nuages; la cabine prend alors des couleurs vives, presque gaies; tout s'allège, momentanément.
Andreas navigue entre les échangeurs autoroutiers dans sa Mercedes si propre, où l'odeur de son survêtement imprégné de vieille pisse trahit, j'imagine, la dualité de sa vie. Nous voici dans le sous-sol de l'ancienne caserne; la pièce est plus vaste que la dernière fois; l'éclairage, plus vif aussi. Très vite, je réalise que le dialogue ne s'établit pas entre nous. Il cherche fébrilement l'abstraction dans les drogues; moi, dans la conversation. Au fil des heures, le sol se couvre d'urine, de crachats, d'huile de moteur, de mégots; le local, de fumée. Décèle-t-il l'ambivalence en moi, au moment de toucher une autre peau? Nous sommes deux étrangers, face à face, sans plus découvrir de terrain d'échange dans cette sexualité compliquée. On finit par s'endormir au zopiclone. Le lendemain, il me recrache à la gare de Buxtehude, non sans m'avoir proposé, au café, le remboursement de la moitié de mon vol. Mais chacun est libre: je ne veux pas lui faire la leçon... Compte tenu de la distance, du temps écoulé depuis notre première rencontre, il aurait été sage de redéfinir nos attentes. On est toujours plus intelligent après. Il n'est pas évident de décevoir, même quelqu'un que l'on n'estime pas spécialement... Sur le quai, en attendant le train à côté de mes 12 kilos de bagages désormais inutiles, je me laisse caresser par un aimable soleil. Je devrais m'écouter, repartir immédiatement, quitter la ville, au lieu de quoi je contacte Klaus, qui m'invite chez lui.
Attablés depuis un heure devant un café dans sa cuisine, il m'explique tout à trac qu'il m'installera dans la chambre du fond - prétextant un obscur problème de literie... J'ai un instant de découragement profond, mais voilà: je suis là, je reste. J'avance juste mon vol du lendemain, je ne tiendrai pas jusqu'à dimanche soir. Je pars seul me promener et lire dans ces rues de Hambourg où tout m'indiffère. Le soir (après un repas au chinois où nous étions déjà venus le printemps dernier...), Klaus allume la TV. Et nous restons là, sur ses chaises inconfortables, à regarder l'Eurovision. Il me tend parfois son joint de hasch, mixé aux cigarettes NIL qu'il fume l'une sur l'autre, entre de puissantes quintes de toux qui secouent son corps d'araignée, sans cesse, dans la maison, dans le jardin qu'il entretient avec un soin d'amoureux. Ce qui m'avait frappé l'an dernier est évident: pas de canapé, pas de contacts, et pour le sexe, d'épaisses combinaisons de plongée ou de caoutchouc. Voilà un homme qui tient les autres à distance, qui s'en protège. Il n'y a de place pour personne dans sa vie, où les plantes occuperont peut-être un jour tout l'espace – comme elles envahissent aujourd'hui le jardin.

Lire aussi
Les gens sont propres sur eux

Articles les plus consultés