Fugues en mode mineur


Samedi en huit, crépuscule hivernal sur le Napf enneigé aperçu des fenêtres d'un train. Puis, Lucerne. Lumières vaporeuses de grands hôtels, dans le froid de la nuit tombante. La voiture roule vers une périphérie morne, estompée par l'obscurité. Je découvre un appartement étouffant, derrière les plis de voilages généreux. Lumignons de Noël, sapins de pacotille. Dans une cuisine étroite, noyée sous la lumière blême d'un néon, les pommes de terre d'une raclette cuisent à gros bouillons. On mange. Je me concentre sur notre conversation superficielle pour échapper à l'insignifiance de ce décor. Plus tard encore, on se déplace dans la chambre où je ne sais plus trop sur quoi me concentrer pour échapper à l'insignifiance de mon hôte. Il s'endort en travers d'un lit encombré d'oreillers multiples, de couettes épaisses, aux parures dépareillées. Il est à peine 23 heures... Du temps passe. Immobile, sur le dos, j'entends des voisins baisser des stores bruyants. Dans la cloison du chevet, se succèdent le bruit de cataracte de chasses d'eau. La fenêtre reste close, la pièce trop chauffée. Le matin, la table est dressée pour le déjeuner. La conversation est épuisée. Je quitte enfin l'appartement, avec une sensation de délivrance, et l'impression détestable d'avoir gaspillé mon temps libre.
Samedi suivant. Le géant à la peau décorée arrive avec une caisse de bière et son sac de voyage. On s'installe au salon. Très vite, il est question de drogues. On se change. Il prend place dans le sofa. Puis il laisse faire, ne parlant que pour redemander des excitants, des stimulants. Sinon, reste mutique. Les heures passent. La table et le sol se couvrent de cadavres de bières, d'accessoires gras, de bougies, de miettes de toasts. J'allume des lampes: c'est le soir. La musique joue sans interruption. A 22 heures, nous n'avons pas quitté le canapé. Mais une fatigue pesante se fait sentir. Son téléphone se met à sonner; il s'enferme longuement dans la cuisine. Je comprends qu'il règle une situation conflictuelle, mais je ne veux rien savoir. Le lendemain, face à face taciturne autour de la table du petit déjeuner. Je lui fais comprendre que j'ai peu de temps pour me préparer avant de sortir. Il se cramponne littéralement à moi. J'étouffe...

J'aimerais savoir ce que je suis allé faire à Lucerne? Pourquoi cette hâte, cette volonté de reproduire les plans déjà consommés? Sinon, quelle fuite a poussé l'autre à rouler quatre heures pour venir jusqu'ici, pour finalement s'abstraire dans la chimie? Quelles motivations, quelles attentes derrière les profils des sites de rencontre? Quelles projections s'élaborent à partir d'une série de photos? Que savons-nous des projections d'autrui? Que confessons-nous des fantasmes que nous forgeons nous-mêmes à partir de représentations imagées? Et quel est le degré de satisfaction de ces attentes? Que cherchons-nous au juste? Et que trouvons-nous?


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