A l'ouest


Stade Pierre-de-Coubertin, mercredi, 18 heures. Dans la bise qui s'épuise enfin, l'échauffement ne sert qu'à nous refroidir. Je ne suis pas assez couvert pour rester immobile. Enfin, les groupes se forment; les responsables annoncent le programme de l'entraînement. Ce soir, accélération progressive et linéaire sur cinq kilomètres. On part au trot en direction d'Ecublens, par Dorigny. Au pied du Motty, le coach nous briefe encore une fois avant de lancer l'exercice, qui commence par l'ascension des ruelles du hameau. Longtemps que je n'étais pas revenu là... Les immeubles succèdent aux immeubles, repoussant toujours plus à l'ouest la limite de cette banlieue dortoir. Puis notre troupeau s'effiloche en dévalant la pente douce d'un paysage plus agreste. En face, de l'autre côté de la vallée de la Venoge, un crépuscule automnal estompe, au-delà d'un cordon boisé, un village mélancolique, piqué d'un clocher pointu. Denges, peut-être. Ou Echandens. Devant moi, le vieux type à cheveux blancs et grosses lunettes, qui doit bien être septuagénaire et qui court aussi vite que moi — sinon plus. Je décide de lui emboîter le pas. On remonte vers Renges. Puis, la plaine de Vallaire. Je reconnais l'immeuble sinistre au pied duquel, un soir, j'avais attendu, dans la New Beetle, Alex qui cherchait ici un hypothétique travail... Mais voici la friche Castolin, le passage sous la route qui marque la moitié de l'exercice. Je dépasse le vieux. La nuit est tombée. Je poursuis les silhouettes des autres, loin devant. Les zones pavillonnaires succèdent aux coeurs d'anciens villages, aujourd'hui gentrifiés jusqu'à l'écoeurement. Saint-Sulpice, éclairage orangé sur les pavés, trottoirs peu rassurants, au même niveau que la chaussée. A l'horizon, la ville étale un tapis lumineux. Cette atmosphère fraîche me donne envie de réécouter Space Oddity; les paroles de "Janine" me viennent à l'esprit. A gauche, les bâtiments de l'EPFL et soudain, dans le ciel chargé d'humidité, paraît l'oeil rouge de la tour hertzienne. Les autres sont là. L'exercice est fini. On oblique, au petit trop, pour retrouver le bord connu du lac, le chemin du vestiaire. Je me sens bien.
["Vous avez envie que je vous dise que ce sera A. qui me succédera?" La plaisanterie de Laurent, qui m'a interloqué hier, me revient aujourd'hui. Je réalise que je n'ai pas le format pour lui succéder. Ni l'envie, d'ailleurs. Je réalise aussi que c'est peut-être ma dernière chance de promotion, dans ce secteur, et que je la laisse sciemment passer. Second couteau. Pourquoi pas au fond. Tant que je reste bien aiguisé...]

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