Remember the future


Combien de fois aurais-je répété mon nom dans cette boîte? A combien de types? Combien m'auront dit le leur? Et qui se souviendra de qui le lendemain? Ce samedi on s'y est rendu sans trop y croire. Bonne surprise: le club était plein. "En mars, ils démontent l'immeuble", me dit François au coin de la piste. Rien d'étonnant: le quartier est sens dessus dessous. Entre les tours, les immeubles de bureaux qui ont poussé comme des champignons, la Pfingstweidstrasse défoncée qui attend son tramway sous le galbe métallique d'une nouvelle passerelle piétonnière, cette vulgaire cabane métallique détonne – tout comme la maison de Bruno, totalement anachronique, accolée à des gratte-ciel... François espère qu'ils trouveront un nouveau local. Je n'y crois guère. Le Zurich de 2010 n'est plus celui d'il y a dix ans. D'ailleurs, le flyer de la soirée joue sur la nostalgie. A l'affiche, les héros locaux Peter Lavelle, Mental-X, Michael K. ressassent les hymnes du club. C'est sans doute ce qui remplit la salle ce soir. En mars, on viendra jeter un bouquet de fleurs sur les ruines du Laby; pour l'instant on est encore là, Igor, Ludo, Wolfgang avec son copain cramponné à lui, Dents Blanches, François, le beau Christian, Stéphane de Lyon avec un grand barbu, le petit Milanais et son Christoph, les Genevois, et le type maigre à bouche avare, qui ondule comme un serpent et me montre toujours ses fesses, la danseuse au plug, bien sûr, et tant d'autres. Même Helios... Vers 2 heures la température atteint 35 degrés et l'hygrométrie doit être au maximum. La gaine de ventilation suinte. Nos jeans collent. Les t-shirts pendent aux ceintures, tantôt à droite, tantôt à gauche – c'est un code, vous savez. Allées et venues vers les WC où l'eau remplit à bon compte les gobelets usagés. Un moment, une odeur nauséabonde sature les lieux: un type a lâché ses légumes juste devant les urinoirs, quelqu'un a marché dedans. Je retourne danser au pied du podium, avec l'impression d'être transparent: personne ne me regarde. Tant pis. La musique est moyenne, Mental-X ne nous propose rien de neuf, repasse plusieurs titres d'une soirée mémorable de l'automne dernier. Mais tout à coup, il ouvre le robinet d'une percussion frénétique et le délicieux phénomène de communion s'installe. La salle crie. La danse s'empare des corps. On se regarde avec les personnes alentour, deux blondes à cheveux courts, l'une est dans le même trip que moi, je vois qu'elle ressent les mêmes choses, on se sourit, on referme les yeux. A ma droite, un type plaisant, barbu, en t-shirt noir, sourit de même et marque le tempo par de larges mouvements de bras, comme un randonneur qui marche d'un bon pas. Ce sont ces instants que j'aime ici, lorsque domine l'impression de ne faire qu'un avec tous les autres, même avec cette domina à cheveux noirs qui finit par sourire elle aussi, même avec cet hétéro à chemise à pastilles de couleur, dont les yeux globuleux sont littéralement collés au nez. Un vrai poisson! Plus tard, sous l'escalier, un couple s'approche de moi. On se touche. On s'enlace. Nos bouches se cherchent: on s'embrasse à trois, on se pince les tétons. L'un doit avoir la cinquantaine. Une main s'insinue dans mon slip. Je retourne aux toilettes, où domine maintenant l'odeur des bâtons d'encens plantés dans la paroi. Je m'enferme aux WC pour croquer un bout de Viagra, un quart suffira, je pense; ce faisant, je lâche la demi pastille dans la cuvette. Merde. Je retourne vers eux. On danse encore un peu et ils partent. De toute manière ce bref échange a suffi à calmer ma faim de tendresse. Il est temps de partir. On reviendra pour l'after de la Street Parade.

Articles les plus consultés