Plastic fantastic lover


Allées paisibles, rues courbes et tranquilles, dont le nom s'étale en lettres capitales sur de clairs panneaux. Des jardins débordent de verdure, cerisiers du japon, hibiscus, généreuses plantes de terre de bruyère au feuillage épais. Langueur de la province anglaise. D'une pelouse d'un vert quasi fluorescent, bien sûr taillée à la pince à épiler, émergent deux immeubles jumeaux: murs percés de larges baies, soulignés de balcons vitrés; toitures mauves, soutenues par des colonnes de briques. Je pense: c'est derrière cette façade proprette qu'ont été prises ces photos obscures, obsédantes, qui sont à l'origine de mon excursion. Cette pièce aux murs décrépis, d'allure humide, je l'imaginais au sous-sol. En fait, elle se trouve sous le toit. C'était simplement la chambre à coucher de mon hôte, dans l'attique nouvellement aménagé, avant le passage des plâtriers et des peintres. Aujourd'hui, elle conserve son rôle accessoire de "pièce de jeu". Au prix d'un certain effort: il faut sortir d'un placard les meubles et accessoires qui sont censés servir d'échelle pour mieux gagner le septième ciel. Les sortir, mais aussi les assembler. On imagine bien que la table d'examen, le banc et les hautes tiges métalliques du porte-sling ne vont pas rentrer d'un bloc dans la petite trappe qui donne accès à la soupente. Auparavant, il faut encore protéger la moquette de larges feuilles de PVC; emballer les oreillers du lit dans des housses de latex noir; obscurcir la pièce en abaissant les stores des immenses Velux; allumer des spots bleus et rouges; alimenter la stéréo en rythmes binaires débités au kilomètre. Enfin, se vêtir pour la cérémonie. Alors seulement, on peut jouer. Cela fait pas mal de préparatifs...
Vendredi. La session est l'occasion de faire connaissance. Il y a le plaisir indicible de la découverte de l'autre. Je savoure ce moment où tout est encore possible, où l'on peut encore projeter sur cet inconnu longtemps fantasmé des désirs insensés. Samedi. Nous ne sommes plus des étrangers, nous savons des choses l'un de l'autre, les traits de nos visages nous deviennent gentiment familiers; les défauts physiques sont attendrissants, pas encore rédhibitoires, au moment d'aborder la seconde session. On la voulait tous les deux "sauvage"; je sens assez vite qu'elle tend à virer vers la démonstration. Puis, l'envie ou le besoin de fixer ces instants dans la mémoire d'un appareil photo parasite le jeu; on se sent devenir comédien à chaque fois que le flash annonce l'ouverture de l'obturateur. La spontanéité, déjà difficile à atteindre dans ces circonstances, s'envole. Et l'effet de la petite drogue ingurgitée tout à l'heure se dilue, minute après minute. L'imperfection finit par l'emporter sur ce qui aurait dû être... Quoi au juste?

Bien sûr, je peux toujours compter sur mon copain du dernier étage, sur ce bon vieux Popaul, fidèle pieuvre grise qui roule ses tentacules derrières mes yeux, manipule à qui mieux-mieux, tout cela pour pallier les déficiences de la réalité, pour tenter de faire coïncider les images du direct avec celles qui ont hanté mon esprit. (Il peut bien me rendre ce service, d'ailleurs, après les avoir maquillées, combinées, à mon insu...) Le résultat n'est pas à la hauteur de mes attentes? Je sais bien, à chaque fois, que ces attentes sont déraisonnables. Au fond, ce n'est pas très important. Je savoure à chaque fois la chance incroyable que j'ai de rencontrer, par ce biais, des personnes intéressantes, attachantes, finalement aimables en tout point, par cette façon finalement très gay de voyager – et de tisser des liens. J'aimerais que tous puissent me pardonner de les avoir projetés sur écran géant sans leur demander leur avis, avant de m'étonner de les trouver plus petits que prévu. Et plus normaux.
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