Catherine R.


C'est toujours un moment étrange, quand on se retrouve face à une icône, face à un personnage essentiellement virtuel, naguère on aurait dit cathodique, pour désigner une personne que l'on voit beaucoup à la télévision (mais les téléviseurs n'étant plus cathodiques, comment dit-on maintenant?). Mais plus qu'à la télévision, c'était surtout chez les disquaires que l'on voyait sa tête, acide et tranchante; sur les pochettes des disques que les Rita Mitsouko vendaient alors par milliers. Quand il étaient encore"les" et pas seulement "la". Alors forcément, dès que les projecteurs s'allument et qu'on la voit sur scène, juste là, à quelques mètres, on la regarde, on la dévisage même, et la vision de ce visage vous saisit. Autant que sa voix, bien sûr. Mais sa voix on la connaît. Tandis que son visage, on ne l'a pas clairement en mémoire, sinon un visage figé, celui de vieux clips espiègles, sautillants et énergétiques, incroyablement modernes pourtant, que l'on a ressuscité l'autre jour sur YouTube.
Et ce soir, on découvre un visage de femme, une femme qui a maintenant passé quelques gués, je veux dire, une femme qui a fait la moitié de sa vie, une femme dans la cinquantaine. Et ce visage a quelque chose de fort et de bouleversant. Même si elle fait la folle, même avec ses grimaces, même quand elle joue avec sa langue, voilà une femme marquée, au visage fort, au visage d'une majestueuse mélancolie.


Les chansons se succèdent, égrenées par une voix d'airain. Certaines dont je me remémore quelques paroles, d'autres dont un riff me rappelle quelque chose, d'autres inconnues, jusqu'à un tournant dans le concert de ce soir. Une fausse fin, qui lui permet de revenir pour un hommage à sa moitié perdue. Il faut du courage pour entonner ces paroles, seule dans la lumière bleue, face à une nuée d'inconnus, sans la charpente de l'orchestre mais sur une musique de Mahler, alors que du fond de la salle parviennent les rires d'un public frivole. Du courage et de l'honnêteté pour nous livrer simplement le message des veuves, qui est aussi celui des orphelins, celui de tous les dépareillés, quand ils vous disent, une lumière dans les yeux: Maintenant, je suis deux.

Voici donc le visage et la voix d'une femme accomplie, une femme vivante et qui peut et veut encore chanter, faire bouillir une salle, quand celui qui l'avait un jour traitée de pute sur un plateau de télévision s'est tu depuis longtemps. Ainsi va la vie.
Avec les rappels reviennent les musiques plus légères des débuts (mais plus légères, vraiment? Réécoutez bien Le petit train...). Et l'on se retrouve à pogoter sur ces airs électriques, comme l'on faisait, pareillement, juste là-bas de l'autre côté de la place, dans l'ancien Mad où la voix des Mitsouko résonnait le samedi soir. Alors on dansait comme des fous de vingt ans. Et puis la lumière change, vire au cuivré, au doré, les cheveux fous de Catherine Ringer volent autour de son visage usé. Et lorsqu'elle entonne Les amants, quelque chose dans ma poitrine se décroche et ma vie retrouve une assiette. Enfin une récompense, après trois semaines merdiques. Les images dérisoires de la veille, là-bas sous les parasols, sont lavées, emportées par cette musique, par ce concert. Merci. Alors je pense encore aux réjouissances à venir, à samedi qui vient, aux vacances qui arrivent, oui! C'est comme çaaaaaaa, la-la-la-la!

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