A bientôt!

L'autre jour, comme nous étions très, très proches l'un de l'autre, je voyais chaque détail de la peau de ton cou, toute piquetée de poils gris. Pareillement, l'abondante toison de ta poitrine se tisse de longs fils blancs. Cette vision m'a un peu ému. Le virage à l'argent de ton système pileux signifie que du temps a passé depuis notre première rencontre. Cinq ans, peut-être même six... Assez, en tout cas, pour que je puisse me rendre compte de ce changement.
Donc depuis quelques années, tu me rends visite de temps à autre. Deux, trois fois l'an. Quand nous en avons envie. Quand ça nous chatouille dans la culotte. Ce n'est pas toujours le Nirvâna. Une fois sur trois, je suis content de notre prestation; les autres, je me dis que nous ferons mieux la prochaine fois... Nous nous connaissons bien à présent, dans ce domaine-là. Nous savons l'un et l'autre à quoi nous en tenir. Nous ne faisons plus d'essais. Il y a moins d'atermoiements, aussi. Moins d'inutiles préliminaires. Et sans doute, moins d'attentes. Nous savons l'un et l'autre qui nous sommes.
Au fil des rencontres, tu t'es dévoilé. Il a fallu des années pour qu'au détour d'une phrase, tu te coupes et me dévoiles ainsi ton véritable prénom. Lentement, un puzzle a pris forme et maintenant le tableau est assez clair. Tu es un homme marié. Père de famille. S'il y a de moins en moins de préliminaires, nous avons en revanche de longues pauses bavardes après nos jeux. Tu fumes quelques cigarettes dans le canapé. Tu te détends. On ne se touche presque plus, alors. Je vois que tu n'es plus réceptif aux caresses. Le mode de communication est surtout verbal. Tu m'entretiens de tes soucis de père de famille. De ton fils diabétique. Des tes tractations avec ta hiérarchie, avec ton banquier, du temps qu'il te faut pour remplir ta déclaration d'impôts, pour établir la liste des frais médicaux pour obtenir la déduction fiscale. De ta passion pour les carnavals... J'écoute patiemment. Je me plains de ci et de ça, en écho. C'est un peu le café du commerce alors. Deux vieux potes hétéros qui discutent. Sauf que je ne pense pas qu'il y aie, dans ta vie aux compartiments étanches, quelqu'un qui te connaisse comme je te connais. Tu me parles de ta face visible, et je la connais maintenant à travers ces quelques anecdotes. Cette face-là, tes amis, ta famille, tes collègues la connaissent. Mais tu vis avec moi ta part d'ombre. Chez moi, tranquillement, assis dans mon canapé, dans la lumière vive de l'après-midi, en soufflant vers le plafond la fumée d'une dernière cigarette.
Avant de partir, tu vérifies soigneusement de n'avoir rien oublié: téléphone, portemonnaie, et surtout, cette alliance qui aurait pu rester prisonnière d'un doigt de gant, ou glisser sous le sofa. Mais non, elle est là, à ton doigt. Ouf. Tu repars, serein.


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