Straight clubbing

On a démonté la cloison (un cadre tendu de tissu qui, à la soirée Family affair, délimitait un couloir faisant office de darkroom). On a repoussé les sofas vers le fond de la pièce ainsi agrandie. C'est là que nous nous installons pour boire un verre, peu après minuit. Deux filles, aux coiffures crantées vaguement 80's, prennent place à côté de nous. La plus proche de Pascal semble chercher le contact. Drague? Peut-être bien. A quelques mètres, un couple de haute taille s'enlace et dansote un vague slow: une longue fille, qui ressemble un peu à la sœur d'Igor, et un type élancé lui aussi, en chemise blanche. Proprets. Indifférents à la croix de Saint-André, surmontée d'une guirlande lumineuse qui clignote, juste derrière eux – décoration plutôt incongrue ce soir-là. Le club se remplit d'une clientèle dont l'âge s'échelonne de 25 à 50 ans. On note que les jeunes hommes ont tendance à garder leur blouson. Au bar, on sert une quantité hallucinante de shots. Il reste moins d'une heure au DJ Mental-X pour préparer la salle à l'arrivée de son illustre collègue Nick Warren, qui joue ici à Zurich ce samedi, dans ce petit club perdu au bout d'une ligne de tram... Une soirée pour laquelle nous avions acheté des billets en pré-location. Donc vers une heure, l'Anglais s'installe derrière les platines. Sur la piste, les oreilles grandes ouvertes, on cherche notre coin. Car curieusement, il y a toujours des endroits où l'on se se sent bien pour danser, et d'autres où l'on est mal à l'aise. L'exercice est difficile car le voisinage est moyennement engageant. J'observe Nick Warren, juché sur son podium. Celui qui a signé plusieurs excellents albums de la série Global Underground est aujourd'hui un quinquagénaire, qui chausse ponctuellement de petites lunettes de lecture en demi-lune pour fouiller dans ses bacs. Je trouve ça attendrissant. Toutefois la mayonnaise ne prend pas. D'abord, le tempo de la musique est en-dessous des rythmes auxquels nous sommes habitués. On reste, grosso modo, dans une musique plutôt lounge. Ensuite, la sono de l'établissement (situé plein quartier résidentiel), n'est pas à la hauteur; elle laisse entendre le caquetage incessant d'un public loin d'être attentif. Sans cela, on aurait pu imaginer se laisser prendre par le son, s'envoler pour un trip musical comme on en a vécu, en écoutant les mix Paris ou Shanghaï du même Warren, couché sur le tapis du salon. Or il reste un handicap majeur: le public. Entourés d'hétéros qui ne se lâcheront pas ni ne tomberont la chemise bien repassée, les jeux de séduction – qui sont le sel de la drague en club (disons: la parade nuptiale du clubbing gay), seront ici impossibles, c'est clair. On s'en rend compte à chaque déplacement au bar ou aux WC: il faut fendre une foule de visages indifférents, vaguement patibulaires, de gnafrons en chemises cramponnés à leurs verres d'alcool. Sur la piste, ça dansote vaguement, les filles se trémoussent avec leurs sacs en bandoulière (ah! l'avantage des poches de pantalon...) Le constat est fait: la soirée ne se passera pas ici. Vers deux heures, nous quittons les lieux en direction d'un autre club zurichois où je sais que des gays se rendent cette nuit. So long, dear Nick Warren: je préfère t'écouter dans mon salon...
Un taxi nous emmène à la Langstrasse à l'atmosphère électrique, où les taxis et voitures roulent au pas pour ne pas heurter la foule qui devant chaque bar, déborde des trottoirs, fume, boit et bavarde. L'entrée du District4 a la forme d'une énorme bouche aux lèvres bleues, garnies de dents pointues. Peut-être une gueule de requin. Dans le couloir, je repère Marco et quelques autres gays, clubbeurs en piste chaque week-end, certainement. La boîte compte deux dancefloors: au rez, une sorte de couloir aux murs garni de chaises et d'improbables tableaux. Au fond, je salue le DJ Willi P., qui mixe pour un public clairsemé, qui ne danse guère. C'est en bas que ça se passe: un sous-sol plutôt obscur, assez grand, où se presse un public beaucoup plus jeune que chez Warren. De nombreux garçons arborent dreadlocks, certains des chignons. On repère quelques gays. Un type a ôté son t-shirt et visiblement, la sécurité ne vient pas l'emmerder. Musique électrique, sous pression. Rythme berlinois. Quelques jolies lesbiennes aux cheveux rasés dansent en fermant les yeux. Oui, ici il se passe quelque chose et nous nous sentons plus dans notre élément. On peut imaginer avaler une gorgée de potion magique, et sentir des connivences se créer avec les personnes alentour – même si ce sentiment est au fond, peut-être, illusoire. On remonte parfois fumer un peu sur le trottoir; d'autres types fument pareillement. Sur la piste, un garçon de vingt ans, lui aussi coiffé de dreads, danse avec passion, le front luisant de sueur. Nous avons retiré nos t-shirts. Nos peaux appellent des frottements, des contacts qui ne se produisent pas. Avec ce dreadeux, on s'offre mutuellement de l'eau; on se fait des namasté. C'est amusant. J'ai largement l'âge d'être son papa. Nous pourrions d'ailleurs être les parents de la plupart de la clientèle, cette nuit au District4... Cinq heures, le DJ de service termine son set et passe la main sous les applaudissements. Bilan: un peu de danse, pas de drague. Une soirée durant laquelle on n'a embrassé personne. On reprend notre vestiaire, en se promettant qu'on nous ne y reprendra plus.

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