Intenciones

La venue programmée de Markus jette une poignée de sable de la Limmatt dans les rouages bien graissés de mon coucou appenzellois. L'oiseau est enroué. Piaille au lieu de siffler. Une visite programmée dans le temps, oui. En revanche, j'ai laissé planer un flou plus qu'hamiltonien sur les buts de ce voyage. Sur les intentions qui le sous-tendaient. Comme certaines plantes, mon désir s'épanouit plus volontiers dans l'ombre qu'en pleine lumière. Dans la correspondance préliminaire, l'équivoque s'installe dans le vouvoiement du Zurichois, qui nous prend apparemment pour un couple classique. J'apporte les précisions nécessaires – mais apparemment, mon message n'a pas été compris. Bref. On passe dès lors un vendredi soir moyennement agréable, à trois. Une ligne de 16'000 volts traverse le salon. Comme en écho, un orage se déchaîne dehors, ramenant du froid, de la pluie. Si au moins mon hôte fumait, l'atmosphère se détendrait peut-être. Il faudrait péter un coup, comme disait Alex. Hélas Markus est sobre, alors que vers onze heures, Pascal et moi ne parvenons plus que difficilement à former des phrases. Je trouve "notre" invité absent. Le babil incessant de Pascal, qui lui parle comme s'il maîtrisait totalement le français, doit l'anesthésier. Trop de mots, trop de raccourcis, d'expressions. Parfois, il se rend compte qu'on lui pose une question, se rattrape au dernier mot entendu. Il faut répéter. Preuve qu'il n'avait rien compris. Minuit. Pascal parti, nous voici face à face avec Markus. Moi, le cerveau en compote et la bouche desséchée par l'herbe. Et lui? Bientôt je sens des frôlements de peau. Puis une main s'aventure sur mon bras. Il faut que je réponde à cette invite. Je visite sa peau blanche de ma paume. Des parties d'un corps prometteur. Mais la connexion ne s'établit pas. Je ne trouve aucun écho ni dans son regard, ni dans sa gestuelle; mon corps reste insensible à ses rares avances. Le sien donne des signes de nervosité. Il est chatouilleux. Me revoilà dans ma prison de verre. Et lui, peut-être dans la sienne – la conversation du lendemain tend à me le faire croire. Ou bien alors je m'interdis cette connexion, ce qui serait le signe d'un conflit de loyauté par rapport à ce cher Pascal. Il doit y avoir un peu de tout cela. Alors les choses restent comme ça, échafaudées, non abouties. Non dites, aussi. Nous allons nous coucher. Je dors mal, les reins douloureux, contrôlant toute la nuit mes mouvements pour ne pas boxer ni réveiller mon invité.
Samedi, nous bavardons longuement à la table du petit déjeuner. Puis on rejoint Pascal au Musée des Beaux-Arts, dont les cimaises longent à nouveau la ligne électrique à 16'000 volts. On la suit jusqu'à une terrasse, où je continue de l'entendre grésiller. J'ai envie d'être seul, loin des pylônes électriques. Hâte, finalement, que Markus reprenne son train, hâte de retrouver mon chalet appenzellois. Mais quand je reprends mon tambour à broder, la frustration est bien là. Je brode vite quelques images lestes. Je deviens pour une heure mon propre amant. Aussi, je tisonne le poêle, j'envoie une série de signaux de fumée. Quelqu'un les a aperçus. Il y a donc une possibilité que dimanche, je puisse satisfaire mes bas instincts, avec ce garçon qui me harcèle parfois de messages, qui se projette dans des jeux que nous pourrions faire, m'attribuant toujours un rôle dont je ne veux pas vraiment.

La rencontre s'organise dans l'après-midi. Mais je veux concilier ce plan avec une heure de jogging. Mon visiteur s'installe dans le canapé, sort son ordinateur, nanti de mon code wi-fi. Je le quitte pour une petite heure de course, baskets aux pieds. A mon retour, il est toujours vautré, torse nu, après cinquante-cinq minutes à se chauffer devant les vidéos de PornHub. Je m'installe à ses côtés. Mon nez se souvient de ses petites odeurs. La tension monte un peu. Je le quitte brièvement, le temps d'aller chercher, dans la pièce voisine, quelques accessoires et de quoi protéger le canapé. C'est précisément le moment qu'il choisit pour jouir. Trop excité.
On mettra ça sur le compte de la jeunesse.
Mon horoscope m'avait pourtant bien prévenu de ne rien entreprendre de la sorte ce week-end.

Articles les plus consultés