Tanger-Glasgow


Vers le début de l'après-midi, j'avais branché la radio et j'étais retourné m'étendre sur ma portion de lit, à côté de toi. La radio était réglée sur Couleur 3, à l'heure de Tanger-Glasgow. Une lumière claire entrait par les fenêtres, une lumière gaie, amenant avec elle une légèreté inattendue, une clarté bienvenue après une nuit blanche. Une soirée au MOA, un club perdu au fond de la banlieue de Genève. Sans savoir qu'une navette était organisée depuis Cornavin, nous avions pris le train jusqu'à l'aéroport, plus proche de cette discothèque. Mais ensuite, pour d'obscurs motifs (la commodité personnelle des chauffeurs, en fait), les taxis ont refusé de nous embarquer jusqu'à Vernier. "Allez-y à pied, c'est tout près d'ici", nous a assuré l'un d'eux. Sale menteur. Alors nous avons marché, longé des bâtiments aéroportuaires déserts, des entrepôts, des parkings, des palissades rehaussées de fils de fer barbelés, le long d'une route sinistre, éclairée a giorno et balayée par une bise mordante. Nous avons bien parcouru deux ou trois kilomètres et quand nous sommes arrivés, tu étais transi et tes fesses gelées car par pur caprice, tu avais voulu mettre ton jock strap ce soir-là.

Tu t'étais assoupi à nouveau. Je te regardais dormir, la tête inclinée sur l'oreiller. Ta poitrine se soulevait et s'abaissait régulièrement. Par instants, un petit bruit de bouche précédait l'expulsion d'un filet d'air d'entre tes lèvres jointes. A ce moment, la radio a passé Juillet 66 de Julien Baer. Alors il y a eu un moment de lévitation. Ton sommeil, la lumière claire et hivernale, cette chanson légère, la tiédeur du lit, ta présence apaisée à côté de moi ont créé comme une bulle, dans laquelle l'appartement entier flottait, hors du temps. Et nous avec, sauf que tu ne t'en rendais pas compte puisque tu somnolais. Mais moi je veillais et j'ai été témoin de cela.

Et souvent, quand je repense à toi, cet instant me revient à l'esprit, comme s'il dominait les autres. Et il me ramène toute la légèreté et la quiétude de ce petit bonheur provisoire.

Playlist (30 janvier 2005)
Jim White – Static on the radio)
David Holmes – 69 Police
Mercury Rev – Black Forest (Lorelei)
Julien Baer – Juillet 66
NERD (The Neptunes) – Provider
Devendra Banhart – This Beard Is For Siobhan 
Sofa Surfers – Can I Get A Witness (Thievery Corp)
Nitin Sawhney – Homelands
Eskobar – Tumbling down
Susheela Raman – Woman

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