Les pauvres filles perduës


Si l'on éclaffe un comprimé, il retrouve, par effet de foisonnement, son état initial de poudre. On peut alors l'aspirer. Ce que démontre, samedi soir, le Bavarois revenu voir la Luce pour jouer [sans témoins cette fois] les prolongations érotiques du week-end précédent. Mais un ou deux verres de rouge plus tard, un crabe (fruit de cette aspiration) commence à crapahuter sournoisement dans la boîte crânienne de la Vaudoise. Sur le canapé convertible, on prend encore, pour faire bonne mesure, un peu de jus de pomme allongé de potion magique. Le visage de l'Allemand devient rouge; sa respiration, saccadée; une veine bat à sa tempe. Divers accessoires éparpillés à portée de main annonçaient pourtant des joutes assez chaudes. Mais le crabe poursuit son travail de sape, pince quelque chose dans l'occiput de la Luce qui doit abdiquer, la queue basse. La musique devient insupportable, la lumière, trop vive. Du repos s'impose et bientôt, le bruit étouffé mais incessant des véhicules dans la rue se fait berceuse. Plus tard, on entend les stores des voisins se fermer. Le sommeil gagne la petite pièce. Fin du premier acte.

Pendant ce temps, bien réveillées, Mme Pasche et la Lorette débarquent du train dans la banlieue interlope de Schlieren. Avec son collier de chien, la Neuchâteloise est bien vite prise en main (de maître) par un autre Allemand, costumé en pilote. La Lorette, qui rajuste ses chaps en sortant des WC où un besoin urgent l'a précipitée, entrevoit sa commère allongée entre les bruyantes chaînes d'un sling, dodelinant de la tête, râlant, en proie à divers bonheurs tourmentés. En fait, la soirée ne fait que commencer pour les camarades en goguette. Vers 2 heures, elles prennent, repues, un taxi pour l'autre rive ferroviaire où se donne le traditionnel bal du samedi soir. Après les rudesses, Mme Pasche s'adonne ici au badinage en compagnie d'un compatriote transalpin (soi-disant de l'autre bord). La Lorette harponne quant à elle une montagne de muscles à peau sombre, qui l'invite dans un louche logement, où des mélanges tout aussi incertains se font à même la table. Calvin Klein s'invite alors dans la chambrine. Musclor se met à s'éplucher compulsivement les bras, fouille et refouille frénétiquement ses affaires, va et vient dans la pièce. La Lorette se méfie de tout et ne sait plus si aujourd'hui est demain ou l'inverse, au moment de conclure et de repartir pour la gare où se brouillent les numéros des voies. Enfin assise à bord du Pendulin matinal, elle envoie deux fois le même SMS à la Luce qui dort encore, sous double Aspégic – se régénérant avant d'entamer, l'estomac rempli et la tête dégagée, un second acte plus concluant.

Lire aussi
Ya un B-52 dans le living

Articles les plus consultés