Mélancolie catalane


Vendredi. Des gouttes d'eau glissent le long du hublot qui révèle un tarmac gris comme le ciel. A* m'attend place de Catalogne sous un parapluie. En chemin vers les "Quatre Chats", le bas de mes jeans traîne sur les dalles luisantes; ma chaussette droite est mouillée, mes vieilles Asics prennent l'eau. Le soir tombe sur les Glòries, des foules lasses montent dans notre tramway tout neuf qui serpente en grinçant vers la banlieue orangée. A Gorg, un vent tiède souffle et colporte une odeur de diesel. La valise tressaute sur les trottoirs inégaux, entre les fantômes des bâtiments détruits cet été.
Samedi. Nous partons au petit trot, quasi solitaires sur le chemin qui longe la plage. Il ne pleut plus. Un vent décroissant fait rouler les vagues qui s'écrasent sur le sable, les rochers. Passé Badalona, une langue de roches rouillées piquées de plantes grasses s'avance vers la mer. Derrière, les maisons de poupée de Montgat, serrées les unes contre les autres. Nous continuons jusqu'au port de Masnou, régulièrement escortés par le passage sifflant des trains lancés vers l'Hospitalet ou vers Matarò. Au demi-tour nous apparaît la silhouette anthracite de Barcelone. Derrière la proue du Forum qui semble défier la mer, elle s'étale sous un ciel de grisaille mêlé d'écharpes d'ouate blanche, d'une mélancolie infinie. Au retour, A* me récompense d'une orgie de petits fours et de thé; le soir, il nous sert des pieds de porc à la catalane, à tomber.
Dimanche. Café et champagne au petit déjeuner. Le salon porte les stigmates des jeux de la veille; nos parures luisantes ou crasseuses traînent au sol et sur le canapé... Les enfiler encore une fois est plus tentant que de sortir. Quand vient le moment du départ, le soleil est de retour. Des feuilles mortes se coincent sous les roues de la valise alourdie par les cuissardes. Le métro. Passeig de Gracià, dans le désœuvrement dominical, baigné de lumière blanche. Déjà se profile le front du bus bleu et noir qui m'éloignera de Barcelone, qui me rendra à moi-même, au quotidien. Ne reste qu'à recomposer la réalité à l'ombre d'un désir assouvi...
[J'ai volé au-dessus d'une plaine lisse et luisante. Je lévitais sur ton corps et tu m'alimentais en gaz carbonique. Toutes les images obsédantes collectées par mes yeux, rapportées par ma mémoire convergeaient; un bref instant, je t'ai envisagé comme je le voulais: implacable. Et comme alors plus rien n'était contrôlable, j'ai lâché les freins. J'ai été projeté en avant, mon corps s'est déchargé brusquement de toute cette énergie accumulée et cette soudaine dépression a créé un éloignement, une tristesse, une distance détestable entre nous qui a mis du temps à s'estomper.] 

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