Novembre à Amsterdam


Un tramway s'arrête au milieu d'un pont aux arches piquetées de lumignons. Des voyageurs sortent, montent, la cloche tinte, puis la chanson légère et incrémentée des moteurs électriques s'éloigne dans Leidsestraat. Le jour s'efface, les bourrasques de vent amènent quelques gouttes de pluie aussitôt séchée. Plus tard, Marcel s'endort devant son thé dans une bergère de l'Hôtel Américain. Je repense aux fines paupières de l'homme de la nuit dernière en m'interrogeant sur son âge... Quand nous sommes entrés dans l'église dimanche après-midi, la messe avait déjà commencé depuis près de deux heures. Le temple était plein et de nombreux fidèles battaient encore la semelle sur le trottoir. Se frayer un chemin jusqu'au choeur était comme nager parmi les torses nus. Au-dessus de nous, des étoiles blanches dans la lumière des projecteurs, des trompettes gonflées, piquetées de métal brillant, un gros soleil boursouflé; et, tout autour, des silhouettes qui s'agitaient derrière les balustrades blanches de la galerie. Mais contrairement aux corps célestes du décor, nous avions de la peine à flotter au-dessous du plafond soutenu par des colonnes métalliques ouvragées. La faute aux officiants sud-américains, qui ne savaient dispenser que du gros décibel martelé. Vendredi soir à la Gas Fabriek, ça n'était d'ailleurs pas beaucoup mieux. La redite de la soirée du printemps aurait été facultative, d'autant que les jupettes n'étaient pas de mise...
Sur le bateau, la chaudière a des ratés. Il faut sans cesse relancer le brûleur. Des nuages de fumée bleue et odorante s'échappent de l'avaloir, volent dans la chaufferie sombre, le disjoncteur lâche, la flamme s'éteint et voilà. De toute manière, notre chambre n'est pas chauffée. Les "pure weed" que nous fumons m'assoment: des carousels fous s'installent dans ma tête dès que je ferme les paupières. Lundi soir, Marcel me passe Fred au téléphone: j'entends le souffle de la ligne, je pense au prix de la communication avec Buenos Aires mais je peine à aligner trois mots intelligents. Mardi matin, coma jusqu'à midi passé. Retour vers Schiphol dans une lumière vive. On s'envole au-dessus d'un paysage crépusculaire irréel qui alterne rivières, plans d'eau innombrables et serres illuminées. Puis les nuages recouvrent tout au-dessous de l'horizon rougeoyant, on vole au-dessus d'une planète de crème fouettée.

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