Cobaye


Il faut prendre le métro jusqu'au bout, et puis encore un bus et voilà, on est nulle part - pourtant, des gens vivent ici. Travaillent, surtout. Peu visible de la route, le bâtiment se révèle tentaculaire. Couloirs de marbre, pièces d'eau, escaliers, vitrines, cafétérias... Tout y respire l'argent, l'entreprise privée. On nous introduit dans un grand studio au plafond peint en noir - pour camoufler le réseau de conduites qui le parcourent: électricité, ventilation, climatisation, eau froide, "eau adoucie"... La qualité des finitions de la construction a quelque chose d'implacable. On est ici chez des gens qui ne laissent rien au hasard, c'est un peu effrayant. On nous fait asseoir face à des caméras, presque invisibles dans leurs globes, fixées à de longs pantographes. On nous amène enfin les breuvages à goûter: quatre brouets aux saveurs peu marquées, servis dans des tasses noires. A humer, goûter, humer encore et avaler. De l'eau sucrée à l'arrière goût de café, de caramel, de vinaigre... La consigne? Noter des émotions particulières sur une grille précodée. Tout cela dure 90 minutes. Après quoi la porte s'ouvre sur le vent et le soleil. Le bus est déjà passé, le prochain est annoncé dans une demie-heure... Alors autant marcher; dans la campagne, puis au bord de la grand-route où les camions sifflent et tressautent.
Aujourd'hui donc, cobaye. Hier, poupée espagnole pour un photographe. Et avant-hier, quoi d'autre? Une sorte d'ours en peluche, certainement. Au fond, les gens nous utilisent selon leurs besoins... Le tout est d'en être conscient.
La bise du Jorat balaie les Croisettes et secoue les pancartes du marchand de glaces. En ville, des journaux gratuits et des papiers jonchent le sol. Mon ticket n'est plus valable, je me suis arrêté trop longtemps pour prendre un café avec le Poulet. Alors je marche encore, je vais à la Coop, je remonte chez moi. Le vent entre aussi dans ma tête. De nuages passent, la lumière change. Des ombres se dessinent, et des contrastes.

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