En pensée avec vous


Black box. Monde rétréci. Réfrigéré. Rentrer chez soi, se terrer. Chacun ans sa boîte, chacun dans sa télé. Manger de plus en plus tôt. Des journées en miniature: extension du territoire nocturne. Monde extérieur hostile et sombre. Et cette année, la Ville ne fait rien – ou si peu – pour égayer ce trou noir de décembre. Je traverse la Riponne vers 18 heures: on est à Grozny. Ou alors les plombs de l'éclairage public ont sauté? Rumine n'est pas éclairé, ni la fontaine carrée, pleine de neige mal fondue, ni la cathédrale. Mais dans quel trou je vis? L'autre soir, une course en voiture vers la zone commerciale de Bussigny-Crissier, à l'heure des pendulaires. Trafic en accordéon. Succession de feux rouges. A Renens, les nouveaux immeubles du centre, entourés de fondrières, encore jonchées de containers de chantier, de machines. Vitrines illuminées: Yendi, Coop, Migros, Truc & Machin, les mêmes que partout... Sempiternelles enseignes, balises qui doivent rassurer les foules, surtout ne pas les désorienter. Il faut la monotonie commerciale.

Je rentre dans ma coquille. Il s'est passé quelque chose, oui. Je connais cet état, un état de manque, que j'aime cultiver, en fait. Je m'arrange pour assouvir, de cette manière, des besoins intimes. Je me raconte des histoires, dans un monde semi-virtuel. Mais autant le faire ainsi, puisque la réalité est souvent, toujours décevante. Je revis des moments choisis, comme on appuierait inlassablement sur les touches retour arrière, lecture et pause d'un appareil vidéo. Lorsque ces moments étaient présents, je n'en ai pas bien profité – vous connaissez les perturbations du présent, la peau qui gratte, le nez qui se bouche, la pensée qui s'égare (surtout ça!) et qui vous soustrait pour de bon à la réalité. Il faut sans cesse tenir la barre, maintenir le cap, pour demeurer ici et maintenant. C'est un travail. Alors pourquoi se priver de revivre ces moments, avec toute l'intensité qui leur est due? Je les revis. C'est une essence. Un alcool fort que je sirote.

Et je sais, malgré tout, la taille réduite de ma cartouchière. Je sais que si l'occasion m'est donnée de conjuguer à nouveau ces instants au présent, cela diminuera d'autant ma provision de bonheur réel – provision que la pensée n'entame jamais.

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