Narcisse et Chatroulette


Trois petits spectacles de danse dans le cadre des Printemps de Sévelin? Allons-y voir. Les performances sont inégales. La première, la plus sympathique, mêlait danse (un peu) et vidéo (beaucoup). Dans cette prestation baptisée "Joseph", l'Italien Alessandro Sciarroni joue assez subtilement avec l'application PhotoBooth de son Mac, et spécialement avec les effets vidéos (déformation, symétrie) appliqués à sa webcam. Il entre doucement une main dans le champ de la caméra (posée sur un bureau au centre de la scène), puis deux mains: le projecteur connecté à l'appareil projette une sorte d'oiseau sur l'écran géant du fond de scène. Autre effet PhotoBooth, celui que l'on a tous essayé un jour: un point convexe, au centre de l'image, transforme par distorsion les visages en faces de farfadets. Appliqué au corps du danseur, l'effet engendre d'amusantes contorsions. Le personnage semble alors se faufiler entre les cylindres d'une rotative... L'artiste sélectionne, en direct, les musiques sur lesquels ils danse dans sa bibliothèque iTunes, elle aussi portée sur grand écran. A un moment, il lance Wild is the wind. Dégustation inattendue de ce morceau connu des seuls fans de Bowie: sa voix s'élève dans la pièce, suave, tout à la fois rafraichissante, corsée et familière, comme l'arôme du café. Un joli moment. Dans un dernier tableau, Sciarroni se connecte sur Chatroulette. Ce site met en contact, de façon aléatoire, les personnes qui s'y connectent, de préférence avec webcam et microphone enclenchés. Tandis que défilent les visages des partenaires de chats de tous pays, l'artiste fait son numéro devant la caméra (cette fois dépourvue d'effets déformants), en costume de Batman maintenant, avec cape et masque. La prestation finit par retenir l'attention d'un adolescent dont on ne voit qu'une partie du visage; il regarde sans mot dire l'évolution du danseur, entend certainement, dans le casque qu'il porte sur ses oreilles, les rires du public. Alors, comme le permet la plateforme, il dessine grossièrement une bite en érection avec sa souris, immédiatement projetée sur le fond de scène.
Un peu narcissique, la performance explore avec succès les transitions entre les sphères privée et publique. Mais elle fait également coexister, sur scène, le modèle humain à l'échelle 1:1 et sa représentation virtuelle agrandie, torturée, diffusée par le média électronique. Et l'on s'aperçoit que, même si le danseur est présent au centre de la scène, l'oeil ne lui prête qu'une attention distraite pour se concentrer sur son double projeté. Une métaphore de notre société numérisée, en somme.

De retour chez moi, je me connecte à mon tour à Chatroulette. La plupart des partenaires de chat sont des hommes en train de se masturber. Ou, plus simplement, des bites plus ou moins rigides que des mains tripotent au-dessus de caleçons mal baissés. Parfois apparaissent des visages, comme le mien. Je n'ai guère de succès: on me zappe rapidement. Sauf un type, avec qui on se dévisage silencieusement pendant une bonne minute. Lorsque j'entends, à la cuisine, le déclic de la bouilloire, je lui signifie que mon thé est prêt et je mets fin à la conversation. Ensuite, je décide de me déguiser, pour voir: je prends dans ma boîte à surprises un masque et des lunettes de plongeur. Je les enfile en ôtant ma chemise et me remets face à la caméra. Je n'ai pas davantage de succès comme ça...

Essayer Chatroulette
© Alessandro Sala

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