Odorama

Ça pue un peu, au Berghain. Depuis l'interdiction de fumer, on capte maintenant de drôles d'odeurs. Elles flottent dans l'atmosphère, en début de soirée, quand les gens font encore attention, cachent quelques rares cigarettes, quelques joints dans le creux de leur main. Mais au fil des heures, les comportements se relâchent (dans tous les sens du terme) et la bonne vieille tabagie reprend assez vite ses droits. Reste que tôt dans la soirée, l'odeur du tabac n'est plus dominante et laisser errer d'autres arômes. Et tout à coup, un fumet louche s'insinue, indéfinissable, traître. Un composite un peu merdeux, un peu moisi, bien particulier à cet endroit — je l'avais d'ailleurs capté dès la première fois. Ce n'est pas franchement une mauvaise odeur, que l'on rejette; car elle a quelque chose de louche, presque de fascinant, de bestial. Bien sûr, elle est liée à la magie obscure de ce bâtiment, qui nous dit quelque chose, qui parle à nos sens. Son message olfactif est d'autant plus violent qu'il est insidieux et fugace. L'odeur frappe. On veut l'analyser: on respire plus intensément, mais elle a disparu. Il doit s'agir d'une émanation collective, de la sueur du public qui danse, mais qui s'égare aussi dans les pièces noires de l'angle, sous l'escalier; ou dans les labyrinthes du rez-de-chaussée, derrière les rideaux, là où se dévoilent les intimités, où la vibration colossale des basses n'étouffe pas complètement les gémissements. En haut, de la condensation doit se former sur les murs, sur les hautes colonnes de béton nu. Aussi, les mains transpirent sans arrêt le long des rambardes de fer de la mezzanine et des escaliers; elles suent en s'appuyant aux cages qui protègent les radiateurs. Et tous ces esters se lient, dans le volume énorme, en ravivant probablement les arômes d'âges révolus — graisse mécanique, mazout, vapeur, chaleur sèche des alternateurs surchauffés, souvenir des turbines qui vrombissaient dans la halle, au temps où l'immeuble alimentait la ville en chaleur et en électricité.