En démordre


Un matin de la semaine passée, au réveil, une lumière douce entrait avec une légère brise par la fenêtre; et pourtant un sentiment léger, mais désagréable, m'a traversé l'esprit. Comme une impression de descente, de celles que l'on ressent un lendemain d'hier, si l'on prend des drogues... Pourtant j'étais parfaitement sobre. Et j'ai eu cette crainte d'avoir atteint une sorte de point culminant de ma vie, après lequel commencerait, oui, une descente. J'ai détesté cette pensée. Je tente de démêler l'écheveau; de tirer des lignes de force; des conclusions; des enseignements peut-être, au regard de la situation actuelle. L'apogée de ma vie, maintenant? Je refuse d'y croire. Pourtant les faits me poussent à faire face à quelques réalités: mes choix (s'ils en sont) montrent leurs limites. Professionnellement, ma situation reste précaire. Clairement dit, je vivote. J'ai choisi de me planquer, de m'accomoder d'un rôle de second couteau, avec un dédain affiché pour les carriéristes et une maxime en bannière: "La vraie vie est ailleurs". Cela ne m'empêche pourtant pas, à l'occasion, de jalouser tel ou tel pour un poste que j'aurais aimé occuper. Une parmi les mille contradictions qui me constituent. J'ai aussi dit que je voulais plus de temps "pour moi-même". Mais qu'est-ce que je fais exactement de toutes ces heures? Rien de très constructif. Sur le plan affectif, c'est l'errance complète. Je refuse les liens d'une relation pour laisser les coudées franches à mon pathologique don-juanisme. Je me souviens avoir dit ne vouloir "que des débuts". D'une certaine manière, je les ai; mais je reste sur ma faim malgré tout. J'ai déjà dit les heures stériles gaspillées dans ces chasses cybernétiques qui finissent par m'écoeurer – c'est-à-dire, littéralement, m'ôter le coeur.
Alors quel lien entre ces deux situations? La peur de l'investissement sans doute. La crainte de m'engager dans ce que je perçois comme des prisons. Prison du travail, prison des liens. Donc oui, je suis libre, pauvre en argent mais riche d'heures à gaspiller. Libre, mais prisonnier de mes choix, d'une certaine façon... Libre, mais captif de mes illusions. Faire face aux réalités, ce serait déjà renoncer à la pensée magique, qui opère spécialement dans le domaine professionnel. Cette confiance aveugle dans ma bonne étoile, la certitude que tout va bien se passer, que j'arriverai toujours à monter dans le train, que je retomberai invariablement sur mes pattes: est-ce bien raisonnable d'y croire encore, à quarante-deux ans? Pensée magique d'un côté, et d'un autre, les illusions de plaisirs infinis entretenues par l'écran, cette fenêtre béante sur les abysses des viviers à fantasmes...
En même temps, je ne me sens pas prêt à céder. Je ne peux pas m'être trompé si longtemps. Je refuse d'en démordre. S'agissant du travail, il y a quand même des faits: j'ai toujours eu la chance de bénéficier d'un accès direct au coeur des choses; les antichambres m'ont été épargnées. Cela s'est produit à de nombreuses reprises. Pourquoi cela devrait-il cesser? Bon: je dois avoir la pensée magique chevillée aux méninges. C'est déraisonnable. Peut-être...

Articles les plus consultés