It scares me

Il aurait suffit de deux clics, de quatre ou cinq lettres frappées au clavier et mon profil disparaissait définitivement. J'ai regardé la page, les avertissements en lettres rouges sur fond noir et j'ai annulé la manoeuvre, ne pouvant m'y résoudre. En farfouillant dans le paramétrage, j'ai trouvé des réglages et des tableaux de bords d'une précision toute germanique. Ainsi, j'ai créé ce profil le 29 avril 2005; depuis lors, 9731 types l'ont visité. Je me suis connecté au site 2182 fois et j'y ai passé 1614,5 heures. Mille six cents quatorze! Ça m'a donné le vertige. Car on peut y ajouter les autres milliers d'heures déjà passées, depuis 2002, sur d'autres sites dits "de rencontres". Mais pour une vraie rencontre, combien de temps gaspillé à se fatiguer les yeux, à faire défiler des images? Combien de bavardages oiseux, à essayer d'emmancher d'hypothétiques rendez-vous? Mais je n'efface pas le profil... Ce geste pourtant simple remettrait trop de choses en question. Et puis combien de temps me faudrait-il avant d'en créer un autre? Je me connais. Je suis passé maître quand il s'agit de construire mon propre petit enfer. Je peux aussi continuer l'addition de tout à l'heure. Y ajouter les heures anciennes et innombrables passées dans les saunas, dans les parcs; celles, nocturnes, passées dans les barraques de chantier. Tout ce temps accumulé. Tout ce temps vain. Qu'est-ce que cela signifie? Pourquoi suis-je à ce point piégé? Comment est-ce que je peux me sortir de ça? En démordre?

Dix-neuf heures. J'abandonne le PC. Je fais une sieste de rage. Réveil à 19 h 45. En bas, le trafic s'est calmé. Je regarde le soleil embraser le Jura. Je sens la tiédeur des dalles sous mes pieds. Je résiste à la mollesse: je pars courir en écoutant Christian Cambas. Me revoici route de Cossonay, où les toits des abris bus font comme des accents aigus dans la lumière crépusculaire. Voilà: je cours à la tombée du jour, sur la route de Cossonay, en septembre, il fait 25 degrés, je me réconcilie un peu avec moi-même. Je ne peux pas (me) fuir. Je dois résoudre quelque chose.