La cuisine légère


Certains après-midis, il arrivait qu'une véritable légèreté s'empare de cette cuisine. Autant pouvait-elle être pesante à certaines heures, avec son étoitesse, le chuintement du néon qui la plombait d'une lumière blafarde et à peine vibrante. Autant, alors, elle perdait de son lest, se mettait à flotter dans un ciel de printemps. Pourtant, les secondes tombaient toujours, régulières, égrénées par la trotteuse sonore de l'horloge de porcelaine. Mais on ne les comptait pas. Ces instants-là survenaient le mercredi, ou alors le samedi après-midi. Peut-être juste après le repas, quand l'odeur du café flottait encore dans la pièce, quand la vaisselle était déjà torchée et rangée. Si quelqu'un avait alors allumé le transistor collant et poussiéreux, posé sur la table de Formica bleu azur, on aurait probablement entendu une musique légère, elle aussi; peut-être une chanson de William Sheller? ou alors, cet air que Stéphane Grappelli avait composé pour "Les Valseuses" et qui revenait souvent, rendu encore plus ample et liquide par l'imprécision grasse des ondes moyennes... Je serais sorti jouer, sans remarquer le décor, ou plutôt, sans lui en vouloir; ou bien je serais allé sous les pommiers. Ou bien nous serions remonté jusqu'au bar, voir Rose-Mary. Tout était possible, à ces moments-là.

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