Bathhouse



Imaginez une journée entière dédiée au sexe. Une journée dont vous savez rapidement qu'elle ne sera faite que de ça. Une journée où il vous faudra plusieurs orgasmes pour pouvoir passer à autre chose. Une journée au cours de laquelle votre corps seul dicte sa loi.
Imaginez-vous assis sur du carrelage blanc. Au-dessus de vous, sous une ampoule rouge, un tuyau crache sans relâche du brouillard artificiel. Des hauts-parleurs vomissent des torrents de house US commerciale. Sur un fond de percussions, des voix de femmes scandent régulièrement quelques paroles répétitives, et ces voix se répercutent sur les surfaces lisses et dures. S'y ajoute le bruit continu de la cascade du bassin d'eau froide où personne ne se trempe. Vous êtes là à une sorte de carrefour, un endroit où chacun transite forcément. Vous voyez tout le monde, les chasseurs et les proies, les proies qui chassent et les chasseurs chassés. Peu de beau monde: des corps. Des grands voûtés. Des plis aux ventres. Des pieds en dehors. Des airs hautains; apeurés. Quelques moustaches. Des calvities plus ou moins avancées. Et soudain, vous voilà chasseur - non pas parce que vous avez été frappé par la beauté; mais par le fait d'un mécanisme occulte, la captation d'une traînée de phéromones, d'une aura, d'une attitude; par quelque chose de l'ordre de l'indicible qui provoque le déclic.

Imaginez un sauna où l'on a éteint toutes les lumières. On vous remet à l'entrée un bâtonnet fluorescent, à s'accrocher au cou. Vous êtes nu comme tout le monde, dans une nuit sonore trouée par ces dizaines de lumignons bleuâtres. La fornication collective, d'ordinaire circonscrite aux recoins du hamman, gagne tout l'établissement à la faveur de cette obscurité préparée. Et là, enfin, dans une forêt de bras ondoyants, chauds, luisants, vous voilà debout, livré à d'innombrables paires de mains qui vous fouillent chaque recoin, vous malaxent, vous secouent, tandis que des bouches vous sucent de partout. Alors vous sentez s'ébranler le train que vous avez attendu toute la journée; il est là, vous montez sur le marchepied, il part et vous emmène enfin loin de tout cela; et votre corps connaît une sensation d'expulsion, de détente, de relâchement; une amarre se rompt et libère finalement votre esprit.

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