La nuit

Comment le passé nous constitue.
Ce que l'on en fait.
Ce qui peut en être communiqué.
Extraire un souvenir. Faire le montage des images, des séquences.
(Le montage est par essence une malhonnêteté.)
Convertir les informations en mots - seul média possible.
Les mots peuvent servir à véhiculer les sentiments; mais les émotions?
Beaucoup plus difficilement.

La nuit. La campagne. De l'encre dans le ciel. Par la fenêtre ouverte, le bruit d'une voiture qui se dilue, au loin sur la Verniaz. Et si le vent souffle, on entend s'agiter les branches des arbres du verger (mais j'imagine que ce sont celles du bouquet de peupliers, près de la maison de Cécile Ruchet...) Ou alors, se réveiller en se sachant immédiatement seul dans l'appartement. La porte ouverte sur le grand lit vide le confirme. Cette vision sème une graine noire au creux du ventre: la peur. Allumer le néon de la cuisine. Transporter un tabouret sous le guichet de la porte. S'y jucher pour ôter le verrou du haut. Ouvrir le guichet. L'enjamber. Sentir sous les pieds les planelles glacées et rugueuses du corridor. Descendre l'escalier. Ouvrir la porte. S'avancer sur la route. Le pyjama orange. Les réverbères comme des boules d'ouate dans le brouillard. Sentir la piqûre du gravillon du trottoir. Un camion solitaire passe. Enfin, marcher jusqu'au carrefour et crier tout doucement.

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