Les Années Lumière


Un soir de 1982, j'avais fait 20 km pour aller voir les Années Lumière, attiré par la seule promesse du titre... et le sex appeal de Mick Ford sur les photos dans la vitrine, d'accord. Au retour, je grelottais sur mon vélomoteur, mais j'avais la tête emplie de cette poésie sèche ("un Kusturica protestant", a dit Pascal), de la magie initiatique de ce film que les années n'ont pas entamée. Ce soir à la Cinémathèque, le revoir m'amène à découvrir l'origine de quelques préceptes, que je pensais avoir moi-même élaborés. En réalité, je les avais butinés ce soir-là, dans la grisaille du Zoom, à Saint-Maurice, qui sentait le chauffage central et le renfermé... Sinon, qu'ais-je emprunté à ce Jonas-là? Où que devinais-je en lui, de celui que j'allais devenir? A 15 ans, le message du film me parvenait confusément, sous forme de sensations, d'émotions. Aujourd'hui, je le décode; et je vois bien quelle corde intime ces Années Lumière faisaient et font encore vibrer. Apprendre. Ressentir. Observer le monde. Croire aux signaux. Saisir sa chance. Être libre. Et puis, s'affranchir de la pesanteur terrestre pour s'élever dans les airs – comme Yoshka Poliakoff. Ca, plutôt que de rester "un crapaud dans la boue". Ce soir, lorsque le vieil homme a pris son envol dans le vent de l'orage nocturne, une femme (d'ailleurs assise au même rang qu'Alain Tanner!) a fulminé à haute voix: "Mais c'est stupide!" Peut-être la vision de cette élévation magique l'a-t-elle ramenée trop brutalement à sa condition terrestre, subitement insupportable? On ne le saura pas... 
[19 h 30. Réveil d'une sieste. Allongé au lit, je fais défiler la fin de la liste de contacts de mon téléphone portable. Mes yeux s'arrêtent sur des prénoms que je peine à associer à des personnages. Hommes croisés brièvement, intimité d'une ou de quelques heures qui laisse un prénom et un numéro enregistrés dans l'appareil - mais pas même un vague souvenir.]

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