Carte postale


Lunettes rectangulaires sans montures, cheveux blonds, flous, retenus par un élastique, elle sifflote derrière son comptoir. Les gens entrent, ressortent dans la galerie inondée de soleil, là-haut les voiles sont à moitié tirés au-dessus du patio, ils ondulent dans le vent incessant. "Ein Playa Frühstück, gut, mach Ich sofort". Sortir les assiettes, y poser deux Brötchen, verser du café léger dans une tasse, l'apporter, sourire, repartir. Elle n'a peut-être pas 40 ans, elle tient bien son commerce, le pain est frais, des mêmes sortes que l'on trouve à Berlin, à Hambourg. Elle est contente de sa vie, il ne pleut jamais, le soleil brille tous les jours. C'est bien. Sa voisine a l'air moins heureuse, une sexagénaire à cheveux noirs, un peu gourmée, blouse turquoise. Elle vend des napperons, des broderies; c'est plus pointu. L'odeur d'encens de sa boutique incommode parfois aux tables de la boulangerie, comme d'ailleurs le bruit des jeux de carambole qui s'alignent à la devanture du salon d'en face, les claquements se répercutent dans le patio, mais c'est ainsi. Le centre commercial vieillit, mais les chalands viennent encore. Le Spar est au fond. Elle ferme le dimanche, on ira boire le café ailleurs.
Nos voisins de bungalow sont deux Français plus tout jeunes, ici depuis une semaine, dix jours, la peau tannée, couleur vieux chalet. Le soir ils papotent sur la terrasse. Tu as vu ces hibiscus? Dire que chez nous ce sont des plantes en pot de rien du tout, et ici! des haies, c'est incroyable tu ne trouves pas? Se font mille petites politesses. J'ôte ma serviette que tu puisses faire sécher la tienne. Et c'était bien dans les dunes? Oh, j'ai rencontré un bel hidalgo! Très typé, un véritable Espagnol, cheveux longs, avec un collier, tout ça. Mais très sympa, vraiment très, très gentil. Chauffeur de bus à Las Palmas. Mais tu le verras peut-être ce soir. Le type de gauche passe ses journées sur la chaise longue, dans le gazon, en plein soleil. Il rougit un peu sous une couche épaisse de lait solaire. Se lève pour fumer, met des lunettes noires, se rasseoit dans le fauteuil, son sexe se couche paresseusement sur ses cuisses. On se fait signe. On ignore quelle langue il parle. Un jour, il n'est plus là. Peut-être rentré à Liverpool? Le soir, je vois un rapace debout dans la plate-bande, entre deux cactus boule. Il ne bouge pas. Je regarde mieux: c'est une pierre volcanique décorative. Il faut que je remette mes lentilles. Après, on passera devant l'hôtel Rey Carlos et ses lourdes chaînes décoratives pour aller souper au CC Yumbo — qui est plus moderne que le Cita. Tout y clignote, tonitrue, vocifère. Les serveurs vous haranguent avec des sourires carnassiers. Les menus en dix langues. En bas, un alignement de terrasses autour du patio immense, à minuit les bars poussent chacun le son, il faut couvrir le bruit de l'autre. Des touristes hétéros s'arrêtent devant un show de cabaret, se mélangent au ghetto gay où l'on croise quelques jock-straps, un t-shirt en latex luisant (bordures jaunes). Samedi, des Allemands sortent leur harnais, vont au Construction, au Bunker. Les bancomats de la Caja de Gran Canaria fonctionnent, ils sont en haut, sous l'enseigne jaune éclatante.

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