Yod palatal

Pascal se moque de ma façon de prononcer certains mots à la vaudoise, en sonorisant les e muets finaux. Voilà le running gag du moment. Mais pour moi, une dragé est à la fois un mot amputé et un bonbon sans goût; une belle vu est un mot éborgné, qui empêche les yeux de se perdre à l'horizon. Cela dit, il est certainement incorrect, voire contre nature, de rendre audible une voyelle muette. Il semble que les Neuchâtelois n'ont pas cette tare — mais ils en ont assez d'autres, écoutez les racler les mots qui finissent en -ère, -erre, -ert, comme s'ils s'apprêtaient à cracher partèèèrrrr. D'ailleurs, ma grand-mère neuchâteloise (qui prononçait par ailleurs sans gêne avrille ou crocodille), tentait de me corriger: "On ne dit pas elle s'est brûléye dans la cheminéye, mais elle s'est brûlé dans la cheminé." Je la trouvais amusante, mais juste à côté de la plaque. Puis il y a eu une période de ma viye où j'ai tenté de me défaire de mon parler rustique. J'avais installé une sorte de réflexe anti-yod. Mais il était devenu trop efficace: un jour, j'ai dit "pai" pour dire paye (bien qu'en fait, le saint Robert mentionne les deux prononciations possibles). Plus tard, en abolissant ces artifices, en permettant aux habitudes initiales de se réinstaller, j'ai renoué avec moi-même. J'avais en fait essayé d'être un autre, pour n'être pas identifié comme plouc vaudois à Paris, certainement, au point de me trahir moi-même. Surtout, de trahir ceux qui m'ont appris à parler. Comme s'ils m'avaient appris une langue dégoûtante.
Hier, une recherche Google m'oriente fortuitement vers un livre scanné, le Glossaire du patois de la Suisse romande, de Louis Favrat. J'y retrouve quantité de mots courants chez mes grands-parents vaudois, et bien d'autres. Par exemple, si ma Mémé avait du mal à reprendre ses esprits au sortir de sa sieste, elle disait: "Ah, je suis toute entoupinée". En 1866, Favrat définit le terme:
"EINTOUPENA - AHIE, adj. Lourd, somnolent. (Vaud).
La graphie du féminin singulier est parlante: AHIE, c'est encore plus clair, autrement plus fort que -éye. Le patois a fait sonner plus longtemps les voyelles autrefois sonores, occultahies par le français "standard", importé d'Île de France (rien d'autre que le patois des puissants d'alors, institué lingua franca).
Et oui, j'y pense, être entoupiné, c'est avoir été, en un sens, mis en vrac dans une toupine.

Mais vous ignorez ce qu'est une toupine?
Mes pauvres! Qu'est-ce qu'on va faire de vous?

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